BLOOD ON THE HIGHWAY Ken Hensley
NL Distribution/Underclass

C'est Noël en juillet ! Peut-être à cause de la météo… Je me préparais à quelques séances revival pour chroniquer le retour d'une vieille gloire du rock, quand je lis derrière la pochette que c'est Jorn Lande qui chante sur l'album de Ken Hensley… Merci Ess ! Petit rappel pour les plus jeunes internautes : Hensley fut guitariste-claviériste-chanteur au sein d'Uriah Heep de 1970 à 1980, puis a émigré aux USA et enregistré deux albums avec Blackfoot. Salisbury , c'est lui ; l'hymne Easy Livin' c'est encore lui. Soit un multi instrumentiste talentueux doublé d'un compositeur émérite. Il a débuté sa carrière avec Mick Taylor (celui des Stones) et Greg Lake (celui de King Crimson puis d'Emerson, Lake and Palmer). De la même génération que Page, Blackmore, Lord, Dio, Iommi (ces papys qui ont fait le hard rock), il a côtoyé le gratin de la scène rock anglaise des années 60/70. Il a tout connu du Sex and drugs and rock'n'roll que chantait Ian Dury mais… n'en est pas mort. Il a composé ce concept album d'après son autobiographie.

La pochette en reflète l'ambiance mélancolique et le propos (l'espoir est au bout du chemin du cœur). Typo beurk mais c'est pour rappeler l'époque Uriah Heep… J'ai d'abord eu peur que ça soit mou du genou. Car le sujet promettait (du sang mais surtout) des larmes, selon l'éternelle rengaine du mec qui s'est brûlé les ailes au soleil du star system : il a tout perdu à force de trop vouloir, s'est drogué mais se repent maintenant qu'il a vu la lumière, blablabla... Hensley ne serait pas le premier rocker, ayant échoué en dépression avec perte d'identité, à raconter cette histoire de rêves de gloire brisés, gisant éparpillés entre bouteilles et petites pilules. Je craignais la mièvrerie du premier degré, les dégoulis de vœux pieux du genre « on ne m'y reprendra plus » (le nez dans le sac) et un côté pauvre garçon has been. Mais je me trompais ! Blood On The Highway est un opéra-rock jamais grandiloquent et toujours sensible, qui conte l'ascension, la chute et la possible dernière chance d'un type qui a sacrifié sa vie à son ambition et qui, revenu de tout, décide d'exister. Son propos respire la sincérité et le talent de composition est là : on sent que ce par quoi il est passé l'a bonifié. Pas une once de démonstration technique dans ces 14 titres, seulement la recherche de belles mélodies. Une production impeccable, un son direct et rond, chaleureux. De l'âme : l'émotion est au rendez-vous de bout en bout, les chansons étant servies par des vocalistes d'exception. Le génie du bonhomme a été de savoir s'entourer afin d'offrir une dimension moderne à sa musique. Il ne tombe donc jamais dans la redite ni le stérile flashback.

C'est old school mais c'est brillant, racé. Le mix aéré met en valeur voix et instruments. C'est sûr, si vous écoutez juste avant certaines productions récentes du genre heavy-prog symphonique (Dream Theater, Symphony X), la stéréo va vous paraître un peu sèche et l'espace sonore sérieusement moins rempli. Mais attardez-vous et vous serez happés par cette musique. C'est ce qu'on a appelé rock progressif, le feeling intact et le côté bavard en moins.

La première moitié de l'album est axée sur l'efficacité avec refrains imparables, mélodies gagnantes, chœurs très « Heepiens » ( Just The Beginning ) et la pêche ( We're On Our Way ). L'enchaînement des 4 premiers morceaux autour de Blood On The Highway , quel standing ! Le titre You've Got It propose une intéressante illustration musicale de l'idée de fuite en avant. La seconde partie se laisse découvrir plus lentement : on y trouve détails sonores et mélanges instrumentaux dans des morceaux moins formatés : le « live » Okay , les plus intimistes Postscript et I Did It All, le symphonique The Last Dance . On trouve la slide à une place de choix (très 70's), plus quelques touches de dobro. A noter un sax bien employé sur There Comes A Time et les cordes de l'Alicante Symphony qui embrasent le bouquet final. Et ce toujours vert orgue Hammond B3 qui soutient la guitare. Question guitare, si comme moi, vous vous êtes souvent demandé qui avait influencé les soli plaintifs déchirants de Nick Barrett (de Pendragon), ne cherchez plus : il semble que ce ne fut pas que David Gilmour…

Et les voix ! Le casting de rêve Lande/Hughes magnifie les chansons. Glenn est en terrain connu (l'histoire, il l'a vécue aussi) et très en forme ( What You Gonna Do et The Last Dance ). Quant à Jorn… Voilà un chanteur qui se sert de sa voix comme d'un instrument. Il montre ici l'étendue de son registre, du grave à l'aigu, en puissance comme en douceur âpre (autant de grain et de puissance pour un seul gars, c'est dégueulasse !) Qui l'aura apprécié chez Ark, Masterplan ou en solo pourra ici l'entendre dans un style plus dépouillé, laissant sa voix énorme habiller l'espace sonore dédié au chant : magistral ! On comprend aisément pourquoi Marsden et Moody l'avaient recruté pour interpréter les lignes de Coverdale au sein de The Snakes (filiation évidente sur le premier morceau). Un duo avec lui, il faut l'aborder en finesse et en émotion afin de ne pas se faire avaler, ce dont se montre capable Hensley, qui habite réellement ses chansons ( We're On Our Way ). Signalons aussi la contribution soul d'Eve Gallagher sur Think Twice et celle de John Lawton (un ex-Heep) sur It Won't Last .

En conclusion, retour gagnant ! Beaucoup de sensibilité dans les mélodies comme dans l'interprétation. Une bonne surprise pour les anciens et une découverte à faire pour les jeunots. A recommander aux fans d'Uriah Heep, de Deep Purple, de rock progressif en général (de Genesis à Yes, du Floyd à King Crimson, de Queen à Marillion) et à tous ceux qui veulent saisir certaines influences traversant la scène prog actuelle. Debout donc pour mettre chapeau bas devant Mr. Hensley !

P.S. Pour une fois qu'un papy du rock fait son come back sans donner l'impression d'une quête pour ses impôts… Aidez la création musicale, achetez du vieux, c'est l'avenir !

Le site : www.ken-hensley.com

Bouteil Bout

 

www.ultrarock.net                                                               design essgraphics