SHADOW GALLERY Prime Cuts
Magna Carta

Une bonne nouvelle pour les amateurs de progressif que cette compilation reprenant tout ce que Shadow Gallery a sorti chez Magna Carta. Le terme « tout » est en fait peu approprié car les américains ne sont pas prolifiques (5 albums depuis 1992); vous n'aurez de surcroît droit à rien de Room V (2005), sorti sur leur nouveau label. Il y a cependant ici largement matière à découvrir cette musique et s'en faire une idée juste ou simplement s'offrir le meilleur (d'après le groupe, qui a lui-même choisi les titres) de Shadow Gallery. La pochette (c'est une habitude) est un peu gnangan et reprend les éléments principaux de celles des albums Shadow Gallery (‘92), Carved In Stone (‘95), Tyranny (‘98) et Legacy (2001).

Shadow Gallery est une figure marquante du métal progressif qui, c'est parfois bon de le rappeler, ne se résume pas à Dream Theater et Symphony X ! Fortement influencée par Pink Floyd, Queen et Rush (y'a pire !), la formation de Carl Cadden-James délivre une musique très arrangée, aux mélodies ciselées, avec force chœurs, claviers (bonjour épinette et synthé) et instruments inhabituels dans le monde métallique (flûte). C'est leur marque de fabrique, géniale pour certains, grossièrement fade pour d'autres, personne ne restant indifférent à cette grandiloquence. Question interprétation, le groupe est du genre borderline : en permanence à cheval sur la limite entre délicatesse et préciosité. On aime ou on déteste donc cette alliance entre la voix claire et douce (manquant parfois un peu de mordant) systématiquement harmonisée, les claviers (hésitant entre agrément et fioriture), la flûte traversière et les guitares aériennes. De la difficulté à rester propre sans paraître « propret » et à donner dans le néo-prog classisant sans se faire traiter de Clayderman (non, là, c'est salaud, c'est pas lui qui composait…) Le niveau technique est élevé mais ne prend jamais le pas sur les compositions pour verser dans la démonstration (ce dont ne peuvent se targuer tous les groupes de prog, loin s'en faut). Reste un paradoxe Shadow Gallery : que cette formation « de studio » qui, depuis ses débuts, résiste aux sirènes commerciales et peaufine ses œuvres avec perfectionnisme soit autant desservie par la production. Ecoutez Deeper than Life (extrait du deuxième album) pour comprendre comment un titre qui avait tout pour être un grand morceau est flingué au mixage : la batterie sonne baloche (pour un peu on attendrait Yvette Horner). C'est à la fois simple et désolant, malgré le temps qu'ils mettent à sortir leurs disques, ils n'ont (presque) jamais trouvé le gros son ! Il faut reconnaître que les moyens d'enregistrement n'étaient pas les mêmes au début des années 90 mais m****, Bonzo et Keith Moon jouaient fin 60's ! Cette production clinquante et vieillie avant l'heure est d'autant plus navrante que ça joue vraiment bien, que les compos sont redoutables (ah ! les ballades comme Don't Ever Cry, Just Remember ), que les breaks instrumentaux sont intéressants (et pas chiants).

Je tape peut-être un peu dur, mais qui aime bien… Revenons aux éloges et remarquons la largeur de leur palette stylistique, tout en conservant, ce qui est la marque des grands, leur identité sonore. S'il est fréquemment loisible de repérer l'influence de Malmsteen sur les guitares (des deux premiers albums), on se croirait chez Liquid Tension Experiment (ex-side project de Dream Theater) sur l'instrumental The Crusher , accrocheur de bout en bout. New World Order (extrait de Tyranny) est une grosse pièce prog boostée par la voix de DC Cooper (ex-Royal Hunt). Shadow Gallery sait aussi écrire des refrains, en témoigne l'imparable Legacy .

Y a-t-il quelque chose de neuf à se mettre entre les cages à miel sur ce « best of » ? Deux versions edit (qu'il convient de traduire par « raccourcies ») de The Crusher (partie instrumentale de Cliffhanger 2 ) et Colors , tirés de Legacy, ont été enregistrées pour l'occasion. Le seul inédit est en fait Rule The World , une démo (je me demande bien pourquoi elle n'a pas été retenue à l'époque) tirée des sessions de Carved In Stone. Le moins que je puisse écrire est qu'il ne s'agit pas d'une chute moisie : ce morceau qui pulse flingue les canards ! On se prend à rêver de ce qu'il aurait pu devenir, grâce à une prod à la hauteur du talent des musiciens, qui aurait su mettre en valeur l'interaction entre ces guitares acoustiques et saturées.

En conclusion, ces Prime Cuts sont un bon moyen d'aborder la musique, incontournable pour tout amateur de progressif, de Shadow Gallery ; l'occasion aussi de déplorer sa prod. le plus souvent calamiteuse et de soupirer après autant d'occasions manquées de sortir l'album de la décennie !

P.S. Quelques suggestions, au hasard : Glyn Johns (zut, plus en activité !), John « Mutt » Lange (OK, un peu vieux), Sacha Paeth, Dennis Ward (bon, là, c'est jouable.) Je connais aussi des norvégiens moins chers…

Le site : http://www.shadowgallery.com/

Bouteil Bout

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