PAGAN'S MIND

" Heavenly Ecstacy "



P A G A N ' S   M I N D
Heavenly Ecstasy
SPV / Steamhammer

Le genre : heavy prog somptueux

Le groupe norvégien du chanteur Nils K. Rue et du guitariste-producteur Jorn Viggo Lofstad (ex-acolyte de Jorn Lande), s'est imposé en quatre albums comme une référence en termes de métal progressif. Il se distingue en effet de la masse des (très nombreux) groupes de prog grâce à un sens aigu de la composition, misant autant sur l'énergie que la mélodie. Grâce aussi au souci permanent d'installer des ambiances derrière les morceaux de bravoure instrumentaux (qui ne prennent jamais le pas sur le reste). C'est pourquoi, évitant les travers à la fois du prog (le pompeusement démonstratif fatiguant) et du power (l'immédiateté mélodique simpliste et prévisible) pour, au contraire, n'en conserver que les aspects positifs jouissifs (virtuosité instrumentale, variété rythmique, complexité mélodique, théâtralisation des émotions, refrains fédérateurs), ces esprits païens illuminent la scène prog métal tels des feux de Beltane.

Alors que, comme d'autres (dont je ne citerai charitablement pas les noms), les copains de la donzelle au Stargate auraient pu s'endormir mollement sur leurs lauriers et se contenter d'auto-plagiat, ils osent (marque des plus grands artistes) l'évolution musicale. La pochette d'Heavenly Ecstasy annonce la couleur (c'est le cas de l'écrire) puisque des tons ocres et orangés remplacent les habituels bleus froids des précédents albums. Et d'assister, veinards auditeurs, à l'accession d'un groupe important au statut de « monument incontournable ». Les norvégiens réussissent quelque chose d'assez remarquable dans le traitement sonore de leur musique : marier des sonorités très modernes (principalement sur les guitares et les voix) avec d'autres plus rétro (comme ces synthés musqués fleurant bon le Léopard Sourd de notre jeunesse et certaines rythmiques évoquant Rush). Le résultat, qui n'était pas joué d'avance (et sur lequel, honnêtement, je n'aurais pas parié mon slip), est tout à fait probant et relève de l'intemporalité. Il me semble (à vérifier dans l'avenir) que le son de cet album vieillira bien. Ecoutez donc l'excellent (et entêtant) Walk Away in Silence qui nous renvoie à l'époque bénie de l'Opération du Crime de l'Esprit et de l'Empire de Qui-vous-savez…

Pagan's Mind donnait déjà volontiers dans le crossover, n'hésitant pas à mixer des éléments popisants et des sonorités électro avec des rythmiques bien lourdes et des riffs acérés. Mais alors que les précédents albums comportaient de nombreuses plages aux ambiances froides typiques de Dream Theater, Heavenly Ecstasy présente un côté bien plus chaleureux, bourré d'énergie, positif et jouissif. Une agréable surprise faisant suite à l'âpreté glaciale du God's Equation de 2007. Les titres s'enchaînent sans temps mort ni démonstration technique stérile (une belle constance pour ceux qui ont toujours préféré l'efficacité à la pose) et l'heure de musique qui nous est proposée passe à la vitesse de la lumière (normal pour des adeptes des voyages intersidéraux). C'est donc à une évolution artistique que nous avons affaire avec cet album qui propulse les norvégiens de Pagan's Mind dans le cercle restreint des groupes de métal ayant réussi à tirer la quintessence de l'aspect progressif de leur musique sans verser dans les ornières stylistiques du genre progressif. En effet, à l'instar de Symphony X, Angra, Vanden Plas ou Threshold, ils privilégient l'expressivité et la musicalité plutôt que la technicité et la démonstration, réservant toujours à l'élément mélodique la place d'honneur.

Question production, on a droit à un son d'une clarté et d'une puissance admirables, auquel s'ajoutent des arrangements ciselés qui confèrent à chaque titre une aura certaine de professionnalisme. Au final, le plumage se rapporte vraiment au ramage (et vice versa) et le travail du groupe s'avère brillamment abouti, du stade de l'écriture à celui de la réalisation en passant par les étapes de l'interprétation et des arrangements.

Comme d'habitude, au sein de cette formation qui dégage une impression de cohésion et de complémentarité, la section rythmique (Steinar Krokmo à la basse et Stian Kristoffersen à la batterie) offre une assise en béton armé aux claviers de Ronny Tegner, qui ont pris avec le temps une place prépondérante mais (et c'est notable) non envahissante, ainsi qu'à la guitare de Jørn Viggo Lofstad. Des rythmiques syncopées et évolutives, des soli incisifs et ciselés sont la marque de fabrique de ce guitariste qui mérite à mon sens largement la (trop galvaudée) distinction de « guitar hero ». Et là j'écris « Monsieur ! » : ce son, ces riffs, ces soli ! Peuchère… Enfin non, ça vaudrait plutôt de l'or ! Pas (ou peu : il se lâche sur celui de Follow Your Way , qui confère par ailleurs son seul intérêt à ce titre) d'esbrouffe : Mr. Lofstad ne débite pas de la gamme au mètre, il ne case pas son discours personnel dans le morceau, il ne délimite pas son pré carré à l'intérieur de la chanson. C'est un orfèvre qui magnifie la composition en lui apportant un ornement supplémentaire, cherchant à exacerber une émotion ou à développer une ambiance, ce en travaillant à l'économie, comme s'il évitait soigneusement tout verbiage (faudrait p't'être que j'lui demande de me filer des cours…). Bref, les interventions lead de ce type sont un régal, pour peu que l'aspect parfois « glaçant » de son jeu ne rebute pas. En clair, ça n'est pas un sanguin éruptif à la Van Halen ou Bettencourt mais plutôt un animal à sang froid. L'écouter mène rapidement à la conclusion selon laquelle John Petrucci et Michael Romeo ne se partagent pas seuls la plus haute marche du podium guitaristique heavy prog.

Vocalement, Nils K. Rue est (une nouvelle fois) au top. Définitivement un des grands frontmen actuels du métal. Pour glisser une métaphore de circonstance (vu le nom de l'album) je dirais qu'il rayonne ! Son timbre est toujours aussi chaleureux et expressif. Aérien, il glisse toujours aussi allègrement du grave à l'aigu. J'ai écrit ailleurs qu'il y avait du Geoff Tate de la grande époque chez ce type et ça se confirme. Je regrette d'ailleurs la sale manie d'utiliser tous ces effets digitaux qui, en la maquillant, dénaturent et desservent une voix qui n'a nul besoin d'un vocoder pour moduler ses intonations et encore moins pour distiller de l'émotion. M'enfin, ils paient probablement là tribut à une forme de modernité commercialement incontournable (ça plaît aux djeunes parce que ça fait r'n'b ?). A moins qu'il ne s'agisse d'une faute de goût…

Les titres à retenir : sincèrement, même si la première moitié de l'album réunit les meilleures pistes, il n'y a rien à jeter. Tout juste pourrait-on faire la fine bouche devant le faiblard Follow Your Way et le délicat When Angels Unite qui n'apportent pas grand chose. Personnellement, je n'accroche pas trop à The Master's Voice avec ses petits bouts de métal extrême dedans. Trois titres un cran en dessous des autres cartons, là. Eyes of Fire avec ses tonalités orientales, sa rythmique brossée au Toniglandyl®, ses pianotages soutenant des vocalises tout en écho, son refrain imparable : un premier morceau tellement bon qu'il ne peut que donner envie d'écouter la suite . Intermission , le single aussi efficace que mélodique avec sa rythmique rotative et ses plans stratosphériques. Into the Aftermath , assez typique du groupe . Walk Away in Silence, effet rétro-actif garanti, mes cervicales s'en souviennent ! Revelation to the End avec son break à la basse semblant convoquer Nuno d'Extreme pour un solo endiablé sur la reprise du Unskinny Bop de Poison, son refrain qui emporte tout sur son passage, vos inhibitions avec, vous laissant, ivre de « heavy métaââl » mais ignorant du regard des autres comme du ridicule de la situation, empoigner tout ce qui passe à portée de main, de la casserole à la brosse à cheveux en passant par votre stylo Bic® pour vous lancer dans une séance incontrôlable d'air micro. Live Your Life Like A Dream et son ambiance AOR californienne à la Toto. Never Walk Alone qui clôture l'album avec une autre composition typique des païens et laisse une impression de familiarité .

En conclusion C'est une gageure pour tout compositeur/interprète que de rendre attractives des compositions élaborées. Pagan's Mind double un cap avec cet album : leur musique était déjà riche et entraînante, sur Heavenly Ecstasy, ils réussissent à la rendre bien plus accessible sans renoncer pour autant à sa complexité mélodique. Cerise sur le gâteau : ils se permettent quelques clins d'śil sympathiques aux sonorités qui les ont influencés, avec l'élégance de ceux qui citent mais ne copient pas. Sans conteste une des plus grandes réussites de l'année, un disque auquel je reviens fréquemment.

Le site : www.pagansmind.com + www.myspace.com/pagansmind

Bouteil Bout

   
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