ARJEN ANTHONY LUCASSEN
" Lost In The New Real "

ARJEN ANTHONY LUCASSEN
Lost In The New Real
Label : Inside Out

Anthony Arjen Lucassen est sans doute une de mes personnalités préférées dans le pourtant vaste monde du Metal. Sans doute car je l'ai découvert dès mon immersion dans cet univers, sans doute aussi car la richesse de sa musique ne s'est jamais trouvée à l'étroit dans ses limites. Je ne peux pas dire que je m'y attendais, mais je dirais plutôt que sa décision de délaisser Ayreon n'est pas si surprenante que ça. L'homme a l'habitude de multiplier les projets (Ambeon, Star One, etc.) puis de passer à autre chose. Pourquoi n'en serait-il pas de même de son projet principal ? Là où c'est déroutant, c'est que ça nous renvoie à ses tous débuts, Arjen n'ayant depuis plus rien produit sous son simple nom.

A quoi s'attendre ? Là non plus, je n'aurais pu fournir aucune réponse d'avance. La pochette aurait pu être une indication, avec cette reprise du Dream Sequencer… Et c'est à moitié vrai, car ce retour en solo n'est pas non plus une réinvention. Déjà, en quoi ça consiste ? Car autant Ayreon que Star One ou que tout autre projet de Arjen reste du Arjen & co avant tout ! Eh bien… Monsieur s'occupe de toutes les compos, toutes les guitares et basses et claviers, mais ça, ce n'est pas nouveau… En revanche, Monsieur se charge de toutes les parties vocales et ça, ça change ! Plus d'invités, plus de personnages non plus… La fin des concepts albums à la Lucassen ? Evidemment non. Non, non, c'est juste que cette fois, un personnage lui suffit.

Ce personnage, c'est un petit bonhomme du XXIe siècle cryogénisé pour échapper à la mort (héhé ça reste du Arjen) et réveillé, euh… on ne sait pas quand mais après moult et moult éons. Découvrant un monde où il n'a aucun repère, il sera guidé par son prince charmant, le Docteur Voight-Kampff, moins sexy qu'un nom de prince charmant mais il le réveille. Sexy ou pas, c'est un nom qui parlera aux fans de Blade Runner puisqu'il s'agissait de la machine utilisée par les runners pour démasquer les répliquants… Et le seul autre personnage que vous entendrez sera ce docteur dont la narration est laissée aux soins de Rutger Hauer, l'authentique interprète du répliquant de Blade Runner.

Le décor est planté ! Pas très déroutant pour Arjen, mais qu'en est-il de la musique ? En fait, un point commun avec son premier album solo est l'amour pour le Rock classique qui se dévoile derrière le Metal en demi-teinte de ces deux disques. Beaucoup de mélodies Pop, d'arrangements acoustiques, et la plupart des points de repère qu'il nous laisse pointent surtout vers les tout premiers Ayreon : « Pink Beatles in a purple zeppelin », « Our imperfect race », « You have entered the reality zone »… On a peu de titres réminiscents de quelque chose de plus récent que les deux « Universal Migrator », dont on retrouve à la rigueur le côté atmosphérique sur « The next real » ou le traitement qu'il infligeait à ses thèmes historiques avec « Where pigs fly », les deux titres pointant vers le premier volume.

Et le gros point commun avec ce premier volume (qui se voulait Prog en opposition au second) est que le Metal est de plus en plus absent : A part une petite apparition de guitare saturée sur « Lost in the new real », on le cherche… Sur « E-police », « The social recluse », on en oublie son existence. Par quoi est-il remplacé ? C'est là tout l'intérêt du disque : jamais Arjen n'a eu autant de liberté. J'ai mentionné son amour du Classic Rock, et le titre de « Pink Beatles in a purple Zeppelin » a déjà dû vous interpeller par sa triple référence… Rajoutons « When I'm a hundred and sixty-four » et les Beatles gagnent du terrain (je rappelle que son premier album solo se nommait « Pools Of Sorrow, Waves Of Joy »). Leur Pop et celle de Queen envahissent les titres les plus mélodiques (par exemple « Dr. Slumber's eternity home ») mais n'hésitent pas à aller chercher dans celle du 20 e siècle (exemple « The social recluse »). Sur « Don't switch me off », Arjen joue avec le Trip Hop, ce qu'il n'avait jamais osé faire mais qui, somme toute, est assez logique vu l'orientation ambiante qu'a toujours eue sa musique (il serait à propos de mentionner ici le nom de Ambeon) et qui prend ici le dessus. Sur « Yellowstone memorial day » ou « The space hotel », on ne sait pas trop ce qu'il fait. Du FM ? du Hard 80s ? Quant à « The social recluse » que j'ai déjà mentionné, c'est un cocktail dont on ne veut pas connaître les ingrédients.

Le Classic Rock, cependant, s'immerge encore plus profondément puisque Arjen va carrément jusqu'à intégrer quatre reprises à son œuvre ! Nan, pas juste des reprises : de véritables morceaux intégrés au concept. « Welcome to the machine » est la plus logique puisque au fil des morceaux son thème devient Orwelien (ou Huxleyien). Très alourdie et soniquement modernisée, sa reprise ne manque pas d'imagination (ce qui est bien le maître mot de l'album), et est assez logique puisque Pink Floyd a une influence aussi immense que les Beatles sur lui (le titre fait d'ailleurs suite à « Our imperfect race » dont le solo est tout à fait Gilmourien). « Veteran Of The Psychic Wars » est beaucoup plus légère, fun avant tout et très dans l'imitation. « The space hotel » d'Alan Parsons, de même, fait surtout dans le récréatif en créant un climat 80s, contrairement à « Battle Of Evermore » complètement transformée et, je l'avoue, ma grosse déception de l'album, malgré la finesse avec laquelle la mélodie se trouve alourdie et tordue jusqu'à devenir purement Ayreonienne… « I'm the slime » de Zappa conclut merveilleusement l'album sur une note Monty Pythonesque du genre « la réalité n'a pas plus de sens que la fiction »…

Au final, comment juger cet album ? Vous l'aurez compris, il est très riche. Mais est-il enthousiasmant ? Plus dur de répondre… Il est prenant, oui, captivant… mais pas forcément satisfaisant. Malgré les idées qui fusent, l'écriture est plus appliquée qu'inspirée et, au final, je crains que l'album ne souffre de la comparaison avec ceux de Ayreon, où franchement l'écriture était de haute volée, malgré des concepts moins élaborés. Et – je pense que vous en conviendrez – Arjen est un musicien avant tout et la composition primera toujours sur le reste. Pour sa performance vocale, je sais que beaucoup de fans comme moi ont toujours adoré les morceaux qu'il interprétait sur ses disques, et donc l'idée qu'il se charge de la totalité d'un album n'était pas décevante en soi, cependant le résultat l'est un peu. Arjen n'est pas un chanteur du tonnerre et, s'il s'en tire honorablement, lasse tout de même par son manque de relief, de force, et de caractère.

On restera donc mitigé après cette écoute : à la fois satisfait du renouvellement indéniable de Lucassen, satisfait aussi de la fraîcheur de ses idées et de son dynamisme après une carrière si riche, mais également désappointé que ce dynamisme ne se traduise pas mieux musicalement. J'ai du mal à concevoir « Lost In The New Real » autrement que comme un album « entre-deux »… Il me laisse avec une expectative certes optimiste mais insatisfaite, une sorte de « c'était une pause musicale, les choses sérieuses vont reprendre ». Pourtant, nul doute sur l'investissement du néerlandais là-dedans, peut-être a-t-il conçu les choses un rien malhabilement. Assez frustrant alors qu'il s'agit peut-être de son album le plus riche et certainement le plus varié.

Le site : www.arjenlucassen.com  + myspace.com/ayreonauts

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