F R O S T   Day and Age

Inside Out


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Si vous êtes en train d'écouter ou bien de lire cette chronique, vous faites peut-être, sans le savoir, une démarche, un effort supérieur au commun des mortels qui se contente du tout-venant musical. Vous, vous cherchez de la musique, vous ne vous satisfaites pas de ce sur quoi vous trébuchez au détour d'une allée de supermarché ou d'une radio de transports en commun mal réglée.

Cette démarche indique que vous avez l'intention de trouver quelque chose de meilleur ou, en tout cas, de plus spécifique à vos goûts. Et, bien que l'on se contente généralement d'arrêter cette recherche dès qu'on se trouve un nouveau groupe qui sonne bien à nos esgourdes, on caresse toujours l'espoir, sans trop y croire, parfois inconsciemment, parfois sans même savoir que c'est possible, de trouver une merveille, une épiphanie invisible aux tendances de masse, camouflée des algorithmes des plateformes de streaming ou des radios FM bloqués aux titres d'un top 10 standardisé, bouclé sur deux heures et dix spots publicitaires.

Cette démarche, je la fais aussi, chaque fois que Ess me dis de choisir un album à écouter pour que j'en dise tout le mal que j'en pense. Généralement, je ne sais pas trop où je met les pieds, si ce n'est une vague indication du genre. J'espère toujours que ça va me plaire, au minimum que ça va combler ma curiosité ou quelques lacunes. Je risque un peu des sorties de zone de confort, je change volontairement de style pour éviter la redite. Au final, je suis satisfait si j'ai trouvé un album que je peux mettre dans mon répertoire des albums que "j'aime", et je suis heureux si je peux même glisser un ou deux titres de cet album dans mon petit best-of de l'année. En tout cas, je n'espère jamais un chef d'oeuvre.

Un chef d'oeuvre. Le mot pèse autant sur celui qui l'utilise que sur celui qui le reçoit. C'est un objet qui cotoie la perfection, qui fait mentir ceux qui disent qu'elle n'est pas de ce monde. C'est l'aboutissement d'une carrière, souvent d'une vie. Parfois c'est un accident tellement merveilleux et miraculeux que celui qui l'a produit en devient malheureux d'être incapable de le reproduire. C'est un coup de foudre immédiat, qui est magnifié avec le temps et qui ne s'étiole pas après une excellente première impression, mais qui reste puissant et évocateur, ici et maintenant, comme ailleurs et beaucoup plus tard.

Oui. "Day and Age" est un chef d'oeuvre. J'ai eu le coup de foudre à la première écoute du premier morceau de l'album. J'étais un amant transi lorsque le disque s'est terminé pour la première fois. J'étais un addict en manque de sa dose lorsque j'ai réécouté l'album en version purement instrumentale, parce qu'il m'en fallait toujours plus. J'ai perdu toute objectivité à son écoute, et j'ai toujours du mal à en parler aujourd'hui sans laisser l'inconditionnel vociférer son adoration fanatique par ma bouche. Mais je vais essayer quand même.

FROST, pour rappel, c'est d'abord le projet du producteur britannique Jem Godfrey, au clavier et au chant, John Mitchell à la guitare et au support chant, et Nathan King à la basse. "Day and Age" est leur quatrième album, et le trio réussit à me faire mentir en me réconciliant avec les supergroupes. Car oui, c'en est un, les musiciens qui se sont succédés dans le line-up étant issus de ARENA, KINO et IQ. Quand on est producteurs, on a vite plein de copains, d'où les prestigieux guests à la batterie, Darby Todd de THE DARKNESS, et Pat Mastelotto de KING CRIMSON. Excusez du peu.

FROST, c'est du rock prog., ou néo-prog, dont le son évoque à tour de rôle GENESIS, THE POLICE grâce à son discret filtre low-fi qui sonne tellement années 80, avec un son de guitare si caractéristique sur l'aigu, que ce soit sur le titre d'ouverture éponyme "Day and Age", ou "Skywards" avec son chorus très marqué. Cette impression vient aussi du chant très "Phil Collinsien", autrement dit clair et qui n'a pas peur d'aller chercher dans l'alto, mais on entend aussi comme du TEARS FOR FEARS pour le titre de cloture "Repeat to Fade" qui m'a obsédé longtemps après que l'album se soit terminé, voire du NINE INCH NAILS, ou du HANGMAN's CHAIR en plus joyeux pour une référence un peu plus récente.

La production de cet album est démentielle. Très dense, tout en restant parfaitement audible. Prog, mais en restant pop et accessible. Pas de virtuosité particulière des instrumentistes, simplement un énorme travail sur les mélodies et surtout les textures du son, les effets, les empilements de pistes, des messages cachés dans des paroles sibyllines, une ambiance qui, par moment, rappelle l'album THE WALL des PINK FLOYD, avec "Kill the Orchestra" qui fait à la fois la synthèse de l'album tout en laissant planer une ambiance de fin du monde. On fait pire comme référence.

Certaines semaines je dois me forcer un peu pour écouter des trucs qui sont "bof", voire que je n'apprécie pas spécialement (bon c'est très rare que je déteste, je trouve toujours des choses intéressantes même si c'est à peine digne d'être écouté), mais ce "Day and Age", j'ai dû me faire violence pour ne pas me le passer en boucle. C'est le genre de disque magique pour lequel le plaisir démarre au bouton de lancement, et finit longtemps après la dernière mesure, où le silence d'après est aussi de Mozart (enfin de FROST, en l'occurence). On est début juillet 2021, je connais déjà le premier sur mon top 5 de l'année, pour ne pas dire de la décennie.

Les albums qui ont changé ma vie, je les compte sur les doigts d'une main. "Day and Age", c'est mon auriculaire.

C'est une très bonne journée, dans une époque formidable.


Le site: https://frost.life/
Romain Tortevoix

 


 
 
 
 

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