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A N T I - F L A G



Interview réalisée par Doro' et Adel, le 03 décembre à l'hôtel Alba, Paris.
 

« 20/20 Vision », le dernier album du groupe de Punk Américain Anti-Flag, arrive dans les bacs le 17 Janvier 2020. Nous avons rencontré Justin Sane, le frontman rebelle (qui sait aussi jouer de la guitare) et fondateur principal de cette formation pour discuter de cette onzième production studio.


Doro : Merci de nous accorder cette interview. Peux-tu nous présenter Anti-Flag en quelques mots ?

Justin : Oui bien sûr ! Pour commencer, je m’appelle Justin Sane, je chante et joue de la guitare. (rires). Anti Flag est un groupe de Punk Rock qui aime bien s’amuser, mais on véhicule également des valeurs d’égalité et de respect.

Doro : Que signifie « Anti Flag » exactement ?

Justin : Ça peut avoir plusieurs sens. L’inspiration d’origine d’Anti-Flag, c’est le constat suivant : les politiciens transforment le patriotisme en nationalisme et ils utilisent le nationalisme et l’ordre pour forcer les gens à agir contre leurs intérêts. On a surtout essayé de faire ce constat en nommant le groupe « Anti Flag », et c’est valable pour les politiciens américains mais aussi dans le monde entier. Quand les politiciens utilisent le patriotisme comme un moyen de contrôler ce que les gens ressentent et manipuler l’opinion publique, je ne considère plus ça comme du patriotisme, c’est du nationalisme et c’est dangereux. Donc on voyait le rejet du drapeau comme une façon de rejeter le nationalisme.

Doro : Quand as-tu commencé à jouer de la musique ?

Justin : Je crois que j’ai commencé parce que je trouvais ça marrant. Je m’y suis vraiment mis quand j’ai ressenti l’excitation d’écouter de la musique Punk, je me disais « Waouh cette musique est trop cool ! J’ai envie de jouer comme ça ! ». Je devais avoir 15 ans à ce moment-là, j’écoutais beaucoup un disque des Ramones que mon frère m’avait donné. J’écoutais déjà du Punk avant mais ce disque était spécial. Mon frère avait une guitare et je me disais « Si je savais jouer de la guitare je pourrais jouer ces chansons aussi, ce serait amusant. » Et ça l’a été ! (rires)

Doro : Te rappelles-tu de ton tout premier concert ?

Justin : C’est marrant, c’est assez confus… en fait oui ! Alors il y a eu DEUX premiers concerts (rires).
Il y a eu un premier concert avec une sorte de première version d’Anti-Flag, il y avait moi, Pat (notre batteur), ma sœur, et un pote à la guitare. On avait joué dans le sous-sol d’une église qu’on avait loué. C’est intéressant d’y repenser maintenant parce que je réalise qu’on n’avait que 8 chansons, on n’en avait pas beaucoup… c’est intéressant de constater qu’on a travaillé dur pour atteindre notre but.
Ça n’a aucun sens quand on y pense maintenant parce qu’on se disait qu’il fallait absolument faire un concert, donc on a trouvé un lieu à louer et on a organisé un concert, mais je ne sais pas pourquoi c’était si important pour nous. On aurait pu attendre, genre 6 mois de plus, il n’y avait aucune urgence ! (rires) Mais je pense que ce qu’on a réalisé c’est que… personne ne nous laisserait jouer pour eux. Et on voulait être un vrai groupe et jouer, donc on a fait les Punks : « Si personne ne nous fait jouer, on va se débrouiller et le faire nous-même ! ». Et on s’est plutôt bien débrouillé ce soir-là. Mais on n’a plus jamais joué avec cette configuration.

Anti-Flag a vraiment démarré en 1993, je me rappelle de notre premier concert : c’était à la Bloomfield Bridge Tavern. Je m’en rappelle distinctement : j’ai commencé une chanson et j’étais tellement excité que j’ai sauté avec ma guitare ! Et j’étais choqué de ma spontanéité ! Je réalisais ce que je venais de faire et j’étais tellement extatique, j’y croyais pas ! « Putain c’était incroyable, cette musique m’a fait faire un truc de dingue ! ». Et après je savais qu’il fallait qu’on continue à faire ça, c’était trop bien ! (rires) Un de nos amis était au premier rang, ça l’a vraiment surpris quand j’ai sauté, ça se voyait ! Je me rappelle m’être dit que c’était génial et qu’il fallait que je continue.

Adel : Depuis que vous avez commencé ce groupe il y a 30 ans, le monde a changé. Est-ce que Anti-Flag est toujours guidé par la même énergie ?

Justin : Je crois, oui. Il y aura toujours des gens avides de pouvoir et qui en exploiteront d’autres pour accumuler des richesses. Et le seul moyen régler ce problème, c’est de les repousser. On a écrit « Die For The Government » il y a des années… Je n’espérais pas que ça arrêterait la guerre, mais je me disais que ça aiderait des gamins à dire : « Ce monde est pourri, je ne me battrai pas pour lui. ». Quand on écrit des chansons aujourd’hui, le but est le même : pointer du doigt les injustices, les inégalités, l’hypocrisie, et mettre tout ça en lumière. De manière à ce que, quand d’autres nous écoutent, ça leur semble important et qu’ils en retirent quelque chose : qu’ils apprennent quelque chose, que ça leur fasse voir les choses différemment et peut-être qu’ils fassent quelque chose de positif à l’extérieur de ça.
C’est ce qui a guidé le groupe depuis le tout début et je pense que c’est toujours là, cette passion de le faire et de connecter les gens de cette manière.

Doro : Quel est ton ressenti sur la sortie de ce nouvel album, « 20/20 Vision » ?

Justin : Je suis excité à propos de tout ça ! On a trouvé que, à une époque où le néofascisme s’élève dans le monde, où notre président est un néo-fasciste à la Maison Blanche, ce serait important pour nous de s’avancer et de prendre position.
On a dû travailler vite pour faire cet album, il y a pile un an, on tournait en Europe, on a dû rentrer au bercail et on a commencé à écrire. Il y avait matière à écrire, sur ce qui se passe et sur ce monde qui est foutu. Mais c’était dur aussi parce qu’on revenait d’un an de tournée régulière, ma mère est décédée… C’était très dur de se motiver pour faire un album de bien des façons. Mais on a décidé que c’était décisif, à ce moment de l’Histoire, de montrer qu’on s’insurgeait contre ce qui se passait. Ma mère a toujours milité pour la justice sociale, pas seulement pour elle mais aussi pour les autres. Une des choses qu’elle m’a transmises et dites c’est : « Plus tard, quand tu feras le point sur ta vie, tu pourras te dire que tu t’es battu pour ce qui est juste. ». Dans 20 ans, je pense que les gens verront Donald Trump comme un horrible monstre. Et, si un jeune me dit « Pourquoi n’avez-vous pas protesté contre tout ça ? Pendant qu’il polluait la planète, enfermait les enfants dans des cages, toutes ces choses illégales… », je veux pouvoir le regarder et lui dire « On A protesté ! ». Je pense qu’en Irak il s’est passé la même chose : à cette époque, ce n’était pas très populaire en Amérique de dire « non » à cette guerre, mais on l’a fait. Et je pense qu’il se passe la même chose maintenant.

Adel : Malheureusement, ce n’est pas encore fini… Donc tant que les dirigeants n’écouteront pas le peuple, vous continuerez de jouer votre musique ?

Justin : Pour moi, le changement vient toujours des gens. C’est intéressant parce que, plus tôt dans la journée, on parlait la révolution de Mai ’68 qui avait complètement changé la société française. La plupart des gens ne savaient pas quand avait commencé cette révolte et l’impact qu’elle aurait. Il y a une grève qui arrive jeudi, et tout le monde se dit « On va aller manifester, et militer pour nos droits. » mais… on ne sait jamais jusqu’où ça peut aller.
Je pense qu’une des raisons qui fait que les gens au pouvoir ont si peur de ça, c’est parce qu’ils ignorent quelle révolte populaire sera le prochain « Mai ’68 ». Ils ne savent pas ce qui va les destituer de leur pouvoir, ce qui va changer la société, et ils en ont peur ! Donc je pense que c’est toujours important de résister, de se battre pour une issue positive. Ça peut ne pas marcher du premier coup, ni du deuxième, ça peut traîner dix ans… mais il suffit d’une journée ! Parfois, une chose vraiment petite peut mener à de plus grandes choses, mais si on n’essaye pas, on ne le saura jamais.

Adel : C’est un point intéressant, les gens recommencent vraiment à prendre des risques.
Justin : Oui, c’est vrai. Et c’est pareil partout, on commence à voir la même chose aux Etats-Unis aussi. Les gens voient ce qui se passe et sont dégoûtés. Mais la vie est exigeante et difficile, ils peuvent voir des horreurs aux infos mais ils se disent « C’est une honte… mais je dois aller chercher mes enfants à l’école. ». Mais, de temps à autres, il y a trop d’injustices et les gens se réveillent, du genre : « Je ne peux pas faire abstraction aujourd’hui. La vie ne peut plus être la même. ». Et je pense que, quand ces moments arrivent, ils amènent l’opportunité d’un réel changement. On croise les doigts !

Doro : Pensez-vous que les musiciens Punk ont un rôle social aux Etats-Unis ?

Justin : Oui tout à fait ! Je pense que n’importe qui peut amener une part d’art, afficher une affiche quelque part sur un mur avec écrit F*CK dessus (rires). En tant que musicien, on croit que, par l’intermédiaire d’une chanson, on peut changer n’importe quelle chose ou personne, et je pense que c’est important.
J’ai beaucoup d’années de musique derrière moi et je sais que c’est possible. C’est pourquoi j’apprécie jouer dans un groupe et notamment un groupe de Punk Rock, car c’est une communauté dans laquelle n’importe quel type de personnes t’accepte tel que tu es, même si ton état d’esprit est inadapté à la société, on t’accepte quand même. Tu peux être un enfant sage ou un sale gosse, on t’accepte (rires). Si tu te sens reclus de la société, tu es le bienvenu. Le plus important est de passer du bon temps à travers la musique. Ce n’est pas juste un des effets de cette communauté, c’est aussi un rôle à part entière, de pouvoir partager cette musique autant que possible.
Même si tu créés une communauté, par l’intermédiaire de ton groupe, que les gens viennent voir tes concerts, tu as toujours ce rôle de maintenir cette communauté, en partageant du positif et c’est une bonne chose.

Adel : Comment avez-vous trouvé le nom de cet album : « 20/20 Vision » ?

Justin : Il y a eu beaucoup de doutes quant à la décision du titre. C’est un nouveau et je l’aime bien (rires). On a de la visibilité pour le futur, en qui concerne la société et la politique. Il y a Trump qui dit des choses insensées, comme un horrible alien, comme par exemple « Ne croyez que ce que je dis, n’écoutez pas ce qu’on dit ailleurs. Les infos sont fausses, croyez-moi sur parole.». « 20/20 Vision » est un genre de concept qui symbolise la clairvoyance, les bêtises de Trump, comment les gens haut placés abusent de leur pouvoir, le fait que les gens sont nourris par la propagande, la façon dont les politiciens te manipulent avec des drapeaux… L’idée de ce titre est vraiment d’évoquer la clarté de l’information et de montrer les choses telles qu’elles sont réellement. Trump évolue comme un jeune enfant avec sa propre vision « 20/20 » mais qui, du coup, est faussée, c’est donc là qu’il a besoin de porter des lunettes (rires). Il enferme les enfants dans des cages mais je peux voir à travers avec mon regard et ma vision claire. Tu sais que, quand Trump parle des femmes, il dit des insanités et s’enferme dans son machisme à double-tour. C’est juste une personne de complètement hermétique. Je me fiche de ce qu’il dit car quand il dit quelque chose, c’est obligatoirement faux (rires). Tout ce que je sais c’est qu’il parle mal des femmes, il a des propos extrêmes et violents envers les gens qui le critiquent. Bien sûr il y a des gens qui le soutiennent, mais qui sont enfermés avec lui, dans sa mauvaise perception de la société.

Adel : Ne penses-tu pas que de protester contre le fait de brandir des drapeaux et contre le nationalisme, c’est une autre manière de brandir un drapeau ?

Justin : Oui, bien sûr, mais c’est une façon de montrer qu’Anti-Flag est mauvais car il y a un mouvement qui entraine les gens à protester et créer des problèmes. Les Anti-Fa sont concrètement des antis-fascistes. Tu sais, l’antifascisme est une idéologie de meurtres et de génocides. Je peux te parler d’autres choses et ce sera encore une autre forme d‘idéologie. Cette idéologie principale est basée sur l’affrontement du sexisme et de l’homophobie. Bien sûr, nous faisons attention à toutes ces idéologies, on doit s’assurer qu’on ne met pas juste des mots ici et là, sans arguments, parce que nous voulons défendre ce qu’on est. Nous devons toujours veiller à nos propos, ce que je fais actuellement, pour ne pas qu’ils soient déformés par la suite. Entre nous, il doit y avoir un échange en cas de mauvaise compréhension, comme par exemple « Attends une minute, il y a quelque chose qui ne va pas dans ce que tu dis » pour le rectifier après. Je pense que c’est la façon dont ça doit se faire d’ailleurs.

Adel : Dans le premier titre de l’album « Hate Conquers All », il y a une ligne qui dit de ne rien lâcher à la réalité. A ton propre niveau, ta vision de musicien, la musique que tu partages sur scène et tout autour du monde. Comment tu deales ça avec la réalité, lorsque tu redeviens une personne normale ? Comment gères-tu le fait d’être musicien sur scène, en partageant des propos forts et violents parfois, tout en étant juste et « normal » quand tu redescends de la scène ?

Justin : Je n’ai pas voulu créer un groupe pour être spécial. Je veux dire que j’ai des idées sur l’image que je veux donner, je suis vraiment attentif aux personnes qui se trouvent devant moi quand je suis sur scène et, parfois, je me pose la question « Est-ce que j’ai raison de faire ça ? ». Je sais que je parais être quelqu’un d’important quand je suis là-haut, mais je ne veux pas être quelqu’un d’exclusif. Lorsque le concert se termine, je serre des mains pour remercier le public, on prend des photos avec eux… car j’ai besoin d’être connecté aux gens.
On performe sur des choses qui sont importantes pour nous mais le fait est que ce sont des choses importantes pour d’autres aussi. Pour moi, la réalité est que je me produis devant des gens et c’est pour moi la meilleure partie de mon travail. C’est une chose très cool et je suis heureux de faire partie d’un groupe de musique, d’être bien entouré, mes musiciens sont des bonnes personnes. Nous sommes tous soutenus par nos familles et nos amis dans ce que nous faisons. Nous vivons dans notre monde, mais c’est le vrai monde en fait ! (rires). J’essaye de faire du mieux que je peux, j’ai toujours essayé d’être une bonne personne mais, c’est peut-être cliché de penser ça, je pense que quand tu perds quelqu’un qui t’est proche, ça te change à l’intérieur de toi, ça te pousse à essayer de devenir encore meilleur qu’avant.

Adel : L’année prochaine, vous êtes programmés une nouvelle fois au Hellfest, comment te sens-tu à l’idée de jouer sur une scène qui s’appelle la War Zone (« Territoire de guerre ») ?

Justin : Je suis très content de pouvoir y jouer une fois encore. Je comprends l’idée de ce nom mais je ne l’aurais pas choisi (rires) mais bon, si je ne n’ai pas envie d’appeler cette scène la War Zone je n’ai qu’à monter mon propre festival (rires). Je suis très content de pouvoir donner ma propre interprétation, de créer de la matière de cette partie de la musique qui est assimilée au danger, de rassembler les gens qui se sentent attirés par ce mauvais côté de la musique. Notre but est de saisir cette opportunité d’offrir aux gens une occasion de passer un bon moment et d’être respectés, pour faire quelque chose de bien pour quelqu’un d’autre, d’être sympa avec la personne qui est à côté de toi dans la fosse… Nous vivons positivement le fait d’avoir cette opportunité de jouer au Hellfest, de profiter des bières qu’on nous sert au bar et des feux de camps géants (rires).

Adel : C’est fascinant de se dire que ce genre de musique bruyante et violente, que peuvent être le Heavy Metal ou le Punk Rock, génèrent cet esprit d’amitié et de camaraderie. Je suppose que c’est aussi le rôle du groupe qui est sur scène de générer cet esprit auprès des gens. Tu penses que ce n’est pas justement ce que les gens attendent, en fin de compte ?

Justin : Je ne sais pas trop. Pour moi, la musique devrait pouvoir capter l’attention. C’est aussi pour ça que je fais de la musique, c’est pouvoir connecter une audience à ce que je fais, c’est ma vision de la musique. Tu sais, c’est très dur de créer quelque chose avec cette aspiration qui nous est propre.
C’est difficile de rapprocher les nouvelles générations de notre musique, car chacun a une vision qui peut être complètement différente de la mienne. Du coup, je ne sais pas trop comment te répondre (rires).

Adel : Ce n’est pas un problème, c’est une très bonne réponse ! (rires) J’ai une dernière question : quel est le dernier groupe qui t’a fait réfléchir et celui qui, au contraire, te donne envie de tout casser autour de toi ?

Il y a ce morceau du groupe Wire, qui s’appelle « Mannequin » et cette chanson me fait du bien. Au début, elle m’a fait réfléchir parce que je me demandais de quoi ça pouvait bien parler (rires). Je pense que c’est une chanson intéressante, très cool, il y a quelques harmonies Punk qui ressortent, c’est une sorte de chanson merveilleuse qui faire du bien à ceux qui l’écoutent (rires). Il y a aussi cette chanson de Rancid, « Otherside », qui prête beaucoup à la réflexion.

Adel & Doro : Merci beaucoup pour cette interview !

Justin : Merci à vous deux et à bientôt !

Pour en savoir plus sur ANTI-FLAG, c’est par là : http://www.anti-flag.com/

 


   

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