A R K A N
Interview réalisée par Doro', le 09 octobre au Black Dog, Paris

 
 

Le 5ème album d’ARKAN est sorti le 16 Octobre dernier et nous avons eu l’occasion de rencontrer FLORENT JANNIER, le chanteur/guitariste du groupe, pour en discuter. Ce nouvel opus est inspiré des « années de braises », une période tragique qui s’est déroulée en Algérie dans les années 90. Les anecdotes et les souvenirs sont exprimés à travers 12 morceaux forts et profonds qui composent « LILAH H ». Petite explication de texte juste en-dessous…



Bonjour Florent et merci de m’accorder cette interview dans ce magnifique palace parisien [oui, pour moi le Hard Rock Café est un palace !].

Avec plaisir ! (rires)

Peux-tu m’expliquer en trois mots qui est ARKAN ?

Pour mettre une étiquette dessus, je dirais que c’est un groupe qui mixe du Metal avec de la musique orientale, principalement maghrébine. On utilise des instruments acoustiques traditionnels que l’on mélange avec les instruments et les sonorités typiques du Metal.
On mélange différentes influences musicales. Arkan est très attaché au concept de l’album, c’est à dire d’avoir une progression en fonction des morceaux. Dans cet album on peut avoir des morceaux plus brutaux, plutôt connotés Death et des morceaux un peu plus aérés qui vont être un peu plus Power ou Doom. Vraiment, le but, c’est d’aérer l’album et de créer différentes atmosphères. En effet, si on écoute par exemple le premier titre de l’album « Dusk To Dawn » c’est assez Death et brutal mais tous les morceaux ne sont pas dans cette veine-là.

Est-ce que chaque titre a sa propre identité ou ils suivent une suite logique tout au long de l’album ?

En fait il y a un concept et chaque morceau traduit quelque chose de… Bon je vais peut-être expliquer le concept de l’album, ce sera plus simple (rires). La genèse de l’album est la suivante : ça fait 15 ans que je connais Mus (guitare, oud, mandoline) et Samir (basse), des anecdotes qu’ils ont vécues en Algérie qu’on appelle la « Décennie Noire », la guerre civile en Algérie. C’est vrai qu’à chaque fois que j’entendais ces anecdotes-là, elles me paraissaient tellement surréalistes et assez folles, surtout par la façon dont ils parlaient avec un tel détachement. Je me suis toujours dit que ce serait dommage qu’on n’exploite pas ça un jour, toutes ces anecdotes vécues, et d’en faire un concept-album et donc c’est ce qu’il s’est passé avec cet album-là.
On a décidé de prendre toutes ces anecdotes-là qui étaient assez révélatrices d’une époque pour écrire des paroles. Donc forcément les anecdotes étant différentes, parlant de choses différentes, les morceaux en eux-mêmes vont avoir des sonorités différentes. Par exemple, si le morceau traite plutôt d’un mouvement de révolte, de colère, ce sera forcément un morceau plus orienté Brutal et Death que si c’est un morceau qui parle de mélancolie ou de tristesse où, là, ce sera un morceau un peu plus calme.

Comment organisez-vous la partie composition ?

Composer un album prend évidemment beaucoup de temps donc ce qu’on fait généralement c’est qu’on sépare un peu les tâches, ce qui se fait de façon assez naturelle. On n’a jamais vraiment réfléchi à cette segmentation des tâches. Mus et Foued (batterie, percussions) composent généralement la trame brute de l’album, avec les mélodies, puis on se voit tous pour modifier les arrangements, pour changer un peu l’ordre des morceaux et Manuel (chant) et moi on écrit les paroles et on compose notre chant.

Pourquoi avoir mis 20 ans pour exploiter cette thématique (« La Décennie Noire ») ? Pourquoi ne pas l’avoir sorti plus tôt, étant donné que ça s’est passé dans les années 90/2000 ?

Honnêtement, je n’ai pas vraiment de réponse à cette question. Je pense qu’au fond de moi je savais qu’on allait l’exploiter un jour, mais n’ayant pas vécu ces évènements-là, ce n’est pas moi forcément qui allait lancer le projet, car ce sont des choses qui sont assez personnelles. Certaines de ces histoires sont mélangées avec d’autres plus tristes voire avec des drames potentiels, donc moi qui n’ai pas vécu ça, je n’allais pas déclencher les évènements. Je pense que les choses se sont faites assez naturellement sur cet album. Au moment où on a commencé à le composer, on en a discuté et finalement le sujet s’est imposé donc on a décidé d’y aller à fond.

Ce n’est pas trop difficile de s’approprier des histoires qui ne sont pas les vôtres, dans le but de les mettre en exergue de cette façon ? Notamment pour toi et Manu, qui chantez tous les deux dans le groupe.

Ce n’est pas un exercice qui est forcément facile, on a beaucoup discuté avec Mus et Sam’ pour comprendre le contexte de l’époque et la façon dont ils ont ressenti les choses. Manu et moi on s’est pas mal documentés aussi sur le contexte des paroles et des anecdotes, parce que si on ne comprend pas le contexte on a du mal à saisir un peu ce qu’ils ont vécu. Après ça, on s’est lancé dans le process d’écriture, on a fait relire par Sam’ et Mus, pour savoir si on retranscrivait de façon assez fidèle ce qu’ils ont vécu. Ce qu’on s’était dit, avec Manu, c’est que l’un des dangers dans ce process d’écriture est de déformer ce qu’ils ont vécu et, finalement, se retrouver avec quelque chose que personne n’assumera, parce que ça ne reflètera pas la réalité. Et visiblement c’est pas le cas car, très rapidement, ils nous ont dit que c’était très bien et parfaitement aligné avec ce qu’ils avaient vécu.

Pourquoi avoir mis 4 ans pour sortir un nouvel album, « Kelem » étant sorti en 2016 ?

Si on regarde l’historique d’Arkan, on sort un album tous les 3/4 ans en moyenne, donc ce n’est pas un délai qui est forcément long pour nous. Ce qu’il faut comprendre c’est que, lorsqu’on compose 12 morceaux pour un album, c’est qu’en amont on en a composé 30 dont les trois quarts qu’on a mis à la poubelle. C’est pour ça que c’est un process qui est assez long. Je comprends qu’il y ait des gens qui puissent être impatients, mais c’est notre rythme. Il y en a qui sont plus prolifiques, d’autres moins. Donc une sortie tous les 3-4 ans c’est la norme chez Arkan (rires).


Quels seraient tes trois arguments pour convaincre un auditeur qui ne vous connait pas, de venir écouter Arkan ?


Le premier argument peut paraitre peut-être un peu prétentieux mais je dirais qu’on a une « patte » Arkan. Il y a une « originalité Arkan », le fait de mélanger le Metal et la musique orientale. On a commencé à le faire il y a 15 ans et il y avait très peu de groupes qui le faisaient et surtout dans la façon dont on le faisait, avec un Metal assez impressif. Donc je dirais que le premier argument c’est l’originalité.
Le deuxième argument serait le fait qu’on s’est adjoint des services de Fredrik Nordström, au Studio Fredman (Suède). Pour ceux qui ne connaissent pas, ils ont produit toute la scène de Göteborg des années 90/2000, les In Flames, Soilwork, Dimmu Borgir, etc. Donc la prod’ est plutôt costaude (rires).
Enfin je dirais que le troisième argument, qui est peut-être un peu plus subjectif, c’est qu’on a mis beaucoup de nous dans cet album. Il est assez personnel, il y a une histoire derrière cet album, qui ne se retranscrit pas uniquement à travers les paroles mais aussi au niveau de la musique et des différentes atmosphères qui sont distillées au fil de l’album.
Je pense que c’est toujours difficile d’avoir du recul sur sa création et je pense que les gens qui écoutent l’album sentent qu’il se passe quelque chose, il y a une trame, une histoire, un concept, ce qui est aussi le cas dans les albums précédents. C’est quelque chose qui nous tient à cœur car on est très attachés au format album, beaucoup plus que le format single. Donc forcément si on veut développer une sorte de trame à la fois musicale et textuelle, durant tout un album, le « concept-album » est le plus approprié pour atteindre ce but-là.

Est-ce que « Lila H » complète les albums précédents ou c’est à chaque fois une histoire ou une trame différente ?

Ce concept-album est différent. Il y a des choses qui sont en effet en commun, notamment la figure féminine, qui est toujours présente dans nos albums et là qui se retranscrit dans le titre de l’album, qui a de nombreuses significations. L’une des significations est que c’est un prénom féminin. Il y a aussi le côté assez optimiste des choses.
On traite de sujets assez graves mais on ne se contente pas d’évoquer des sujets liés uniquement à la violence, à la colère et en rester là. Le but c’est d’essayer de comprendre la genèse de ces sentiments là et sur quoi ils peuvent déboucher. Les albums concept d’Arkan finissent toujours sur des messages assez positifs, c’est aussi un fil conducteur entre les différents albums.
Le second fil conducteur est que comme Arkan fait un mélange de musique orientale et de Metal, les paroles ont toujours un lien avec le milieu arabo-oriental maghrébin etc. Il y a toujours cette dimension-là dans nos paroles.

Pour autant il ne me semble pas avoir entendu des parties en chant oriental. C’était peut-être un parti prit de votre part. Je pense notamment au groupe Acyl qui joue beaucoup là-dessus également.

En chant typiquement oriental, non. Bien qu’on ait déjà eu des parties de ce genre dans les différents albums d’Arkan. En fait, ce n’est pas quelque chose qui est réfléchi en amont, ce sont de choses qui s’imposent dans le processus de composition des morceaux. Là, ça ne s’est pas imposé, donc on n’a pas forcément forcé l’idée.

Ça aurait pu créer un autre genre de lien plus direct encore entre les albums…

Oui c’est vrai, ça aurait pu. J’en discutais avec un autre journaliste qui me demandait pourquoi il n’y avait pas beaucoup de solos dans notre musique. En fait, ce n’est pas qu’on ne veut pas en faire, il y en a quelques-uns d’ailleurs, c’est juste que, dans le process de composition, le solo ne s’imposait pas. On ne va pas se dire « dans ce morceau on va faire un solo, dans cet autre on va faire du chant oriental »… C’est juste que dans le processus de composition il y a des choses qui s’imposent et d’autres non.

Je me rappelle avoir découvert Arkan en première partie d’Arch Enemy en 2011, au 106 à Rouen. Comment avez-vous fait pour vous retrouver à jouer avec des groupes de grande notoriété comme eux ou Orphaned Land par exemple, avec qui vous avez tourné aussi ?

Je pense que les tourneurs ou bookers ont eu connaissance de notre nom ou ont dû écouter notre musique. C’est un petit milieu, ça parle. Je pense que certains ont apprécié notre performance scénique. Je ne pense pas que les personnes qui choisissent les groupes le fassent par rapport au nombre de candidatures qu’ils reçoivent, ça peut être juste un manager qui a un coup de cœur sur un artiste. C’est arrivé pour nous lorsqu’on a été approchés pour faire la première partie de Paradise Lost au Bataclan. Quelqu’un qui aimait beaucoup ce qu’on faisait, c’est tombé au moment où Ghost a été déprogrammé au dernier moment, on nous a appelés pour les remplacer. Je pense que c’est simplement des coups de cœur.

Qu’est-ce que cette crise sanitaire, qu’on vit depuis quelques temps déjà, a changé dans le fonctionnement d’Arkan ?

Evidemment, ça ajoute beaucoup d’incertitudes. Aujourd’hui, on a du mal à se projeter dans l’avenir, on ne sait pas si les festivals en été 2021 vont se faire ou pas. Donc, oui, évidemment, ça change quelque chose et je pense que le plus dur, ce n’est pas qu’il y ait un changement, c’est plutôt qu’on ait aucune vision. On ne sait pas exactement où on va, ni combien de temps ça va durer. C’est surtout ça le plus compliqué. Si on savait qu’au 31 décembre il n’y avait plus aucun problème, on aurait pu commencer à réorganiser des évènements, mais c’est cette incertitude qui est plus problématique pour un musicien, parce que, lorsqu’il veut partir en tournée, il est obligé de s’y prendre 9 mois ou un an en avance. Aujourd’hui, personne ne prendra un risque d’organiser une tournée, de faire venir des groupes des Etats-Unis ou de l’étranger ou ailleurs alors que, du jour au lendemain, on peut reconfiner et perdre tout l’argent qu’on a mis sur la table.

Pour pallier ces manques de concerts, avez-vous pensé à faire des livestreams ou ce genre de choses ?

Je sais que ça se fait de plus en plus. On n’y a pas vraiment réfléchi ni discuté en interne. Je n’exclue pas cette possibilité mais, pour l’instant, je ne sais pas. Pourquoi pas. Ça peut être une idée pour maintenir de la visibilité [sur le groupe]. Après, je ne sais pas exactement comment ça s’organise. Il faut un lieu qui soit suffisamment grand pour accueillir le groupe et un support technique assez complet. Je trouve le concept bien, à réfléchir. C’est plus une façon de conserver un lien avec un public pendant une période où on ne peut pas avoir de contact direct avec lui.

Pour conclure notre entretien, je vais te demander quel est le dernier film ou série que tu as vu ?

En ce moment je suis sur The Killing. J’ai regardé récemment aussi Dark. Voilà le type de séries que je regarde.

Si « Lila H » était une BO de film, ce serait pour lequel ?

Par contre, tu n’es pas tombé sur le meilleur client pour ce genre de question car je n’ai pas une culture cinématographique très développée (rires). Forcément il faudrait qu’il y ait un lien avec l’Orient, pourquoi pas Messiah ?

Pourquoi pas ! Et ton mot de la fin, ce serait quoi ?

J’invite tout le monde à soutenir les artistes qu’ils aiment car c’est une période un peu compliquée pour eux. N’hésitez pas à leur montrer que vous les aimez en achetant des CD et à les soutenir comme vous le pouvez.

Merci beaucoup pour cette interview !

Merci à toi.


Pour suivre et soutenir Arkan, c’est par là qu’il faut cliquer : arkan.fr

Doro'


 

 

 
 
 
 

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