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B E Y O N D   T H E   S T Y X


Interview réalisée par M@x Born, le 15 Mars 2018 à Paris
 

Direction le sous-sol du bar parisien le Black Dog, afin de rencontrer Emile, vocaliste du groupe de Hard Core (mais pas que) Beyond The Styx. Convaincu et convaincant, celui-ci nous dit tout sur son nouvel album et sur les motivations qui poussent le combo à écumer les salles obscures.

 

UR : Ce nom de Beyond The Styx mérite une explication, cela signifie que de l'autre côté de la rive, vous vous placez en observateurs ?

Emile : Il y a un jeu de mots, ça signifie qu'étymologiquement parlant, nous sommes au-delà, au sens propre et figuré. Disons que nous nous situons d'un côté ou de l'autre, je ne sais pas si nous avons dépassé le Styx mais disons que lorsque nous somme sur scène nous sommes plus d'un côté, démoniaque comme nous a dit une personne lors de notre dernière prestation à Dijon. Par contre, à chaque interplateaux, quand il faut échanger avec le public, on repasse de l'autre côté. C'est comme si, finalement, nous faisions de la barque de Charon, une espèce de surf et que l'on s'amusait à glisser sur ces vagues, à venir faire des pieds de nez au Cerbère de temps en temps. C'est une aventure même si cet album se veut beaucoup moins métaphorique que le précédent, dans les textes et même dans l'instrumentation.

Tu dénonces beaucoup de choses, ton art musical est-il un éveilleur de conscience ?

Oui, c'est clairement ce que je cherche à travers cet album là, ce sont dix titres militants dont la vocation n'est pas d'influencer directement mais dénoncer, c'est déjà chercher à influencer. Disons qu'effectivement nous sommes des observateurs, je suis un lecteur de journaux de tous bords, internationaux aussi, il me parait donc important de dire les choses que certains médias taisent ou n'abordent que sous certains angles. Pas forcément mettre le doigt là où ça fait mal, mais être en adéquation avec des thématiques qui nous sont propres. Nous défendons des valeurs humanistes, nous cherchons clairement à rencontrer du monde, à éveiller des consciences, à bouger celles-ci pour l'intérêt de notre propre avenir. Ça peut paraitre assez fou, comme si nous étions pris d'une mission, nous avons en tête à chacune de nos dates de rencontrer de nouvelles personnes, pas pour vendre du merch’, ça c'est accessoire, ça nous aide à vivre, mais pour passer le message, permettre à ces gens de monter des groupes, de défendre une scène. Nous sommes des enfants de l'underground, nous le resterons peut être éternellement, le but est de permettre à la différence de trouver une place en France. Les politiques parlent souvent des étrangers et bien moi je me suis parfois senti étranger dans mon propre pays, pourtant je ne suis pas né au Darfour, il y a des jours où j'ai honte, j'ai l'impression d'être né différent comme bon nombre de personnes qui écoutent différentes musiques. Cette différence est une force, il faut faire en sorte qu'elle soit constructive, même si politiquement nous ne sommes pas tous d'accord, d'un point de vue culturel nous pouvons faire des choses fortes et prouver à nos politiques que nous avons un rôle à jouer dans la cohésion sociale. Notre vocation est d'être un ciment et un créateur de possible.

Paradoxalement, votre style musical est une niche, pas simple de porter le message au plus grand nombre.

Totalement, c'est comme si l'on demandait à une fourmi de bâtir un empire, toute seule, elle ne peut rien, il faut qu'il y ait la fourmilière avec elle. La contradiction est le propre de l'être humain par essence. Je suis conscient que le travail puisse paraître herculéen mais si nous venions à tirer notre épingle du jeu, je regretterais en faisant abstraction de ces valeurs. Ça m'ennuierait d'être sur le devant en dénigrant ce que nous avons toujours défendu. Le peuple peut élever un leader, je suis peut être un utopiste avec des fois un brin d'idée communiste. On parlait en Off des médias mais je suis désolé, le talent n'est plus rien aujourd'hui dans la musique extrême et dans la musique tout court, l'argent est tout, c'est ce que nous dénigrons le plus, nous sommes un groupe indépendant, auto-produit, fier de l'être. Bien sûr, nous serions contents de signer chez Nuclear Blast mais d'ici là, il se sera passé combien d'années ? En attendant, nous continuons de défendre nos valeurs, même si on ne pourra plus faire la foire à la saucisse en étant juste défrayé, j'espère que nous pourrons toujours défendre nos valeurs écologistes, humanistes. Je pars du principe que si nous faisons un pas vers l'autre, on ne pourra en faire qu'un en retour vers nous, donner n'est jamais vain.

C'est un travail de terrain, c'est le moyen de rencontrer des gens, d'où le fait que vous tourniez autant, je suppose ?

Nous sommes un groupe de live, nous avons des choses à dire, il y a des curieux qui restent, qui viennent, ce n'est pas le cas partout mais j'aimerais bien que la curiosité puisse se développer en France, l'esprit critique, c'est hyper important, il y a de moins en moins de curieux :
" - T'écoutes quoi ?
- Ce qu'il y a à la radio"
- C'est tout ? T'écoutes pas autre chose ?
- Bah des fois euh, ce que Maître Gims propose sur sa chaine Youtube
- Ah d'accord ok."

On en est tous à ce constat

Oui et ça m'embête, on rend les français encore plus cons qu'ils ne le sont déjà et ça, ça me gave, la culture c'est l'ouverture d'esprit. Il y a des gens que j'ai écoutés plus jeunes qui m'ont fait faire des recherches, ouvrir un dictionnaire, ça parle de la guerre du Vietnam : « ah c'est quoi la guerre du Vietnam ? ». Un peu de manière organique, viscérale, on fait des liens, ça cultive et pas par le bas en regardant des émissions divertissantes. Nous ne faisons pas de divertissement par exemple.

Y a-t-il un fil conducteur entre vos albums ?

C'est un état des lieux des différents stigmates de notre société, on en a retenu dix, mais un triple album aurait été possible. Y a-t-il un fil rouge ? L'album n'a pas été écrit dans un délire conceptuel, en en parlant et en y réfléchissant, il y a une ligne directrice militante assez explicite, je ne m'y attendais pas mais, en prenant du recul, effectivement, c'est une belle redécouverte. Auparavant le groupe se cherchait et c'était plus des patchworks, nos influences étaient disparates, cet album est le bon milkshake, c'est fluide et ça n'enlève rien à l'identité de chaque chanson, elles se lient bien les unes aux autres sans qu'il y ait de la redondance. C'est mon point de vue.

C'est un format très court, presque à l'ancienne, vingt-sept minutes pour dix titres.

Je pense que c'est réfléchi, on voulait faire des choses assez rentre dedans, c'est clairement une série de dix lames plutôt que un sabre de vingt mètres, on ne voulait pas mettre la chanson de trop aussi, nous avons joué sur la frustration et l'émotion plus que sur la longueur, la subtilité et l'ennui potentiel. On ne nous a jamais dit que notre précédent album était trop long, mais nous, nous l'avons trouvé trop long. A contre-courant, ça permet aux gens d'aller au bout, je ne suis pas persuadé que tout le monde soit allé au bout de notre premier album, et ça m'ennuie car il y a vraiment de jolies choses dedans. J'avais envie que les gens aillent jusqu'au bout de celui-ci. Nos prochains albums seront aussi plutôt courts. De plus, quand tu n'as que quarante-cinq minutes de jeu sur scène, le choix est plus simple avec des titres courts.

Cette avaleuse de sabre avec les viscères à l'air sur la pochette, qui est-elle ? On retrouve l'épée brisée sur l'arrière de la jaquette, ça veut dire quoi tout ça ?

Il n'y a pas de sens, c'est une proposition d'Ammo, le créateur du visuel et j'ai trouvé génial cette épée brisée. Par contre l'avaleuse de sabre est une idée qui m'est propre, j'avais juste des images en tête de cette image apocalyptique que j'exprime comme ça : la nativité qui finalement joue avec la mortalité, la vie, la mort, une danse macabre entre elles. Je pense qu'elle nous incarne nous, l'image d'un monde mal en point qui joue avec ses limites sans trop savoir où il va, qui il est. Ses viscères sont mi organiques, mi animales. Je ne la vois pas comme quelqu'un de mort.

Stiigma avec deux "i" majuscules, c'est une façon cachée de dire que c'est votre deuxième album ?

Alors tout à fait. Banco ! Une manière d'évoquer la dualité qui accompagne le nom du groupe, c'est aussi pour distinguer un mot de sa simple définition, plus que sa définition latine « stigmatisation », pour s'approprier en toute humilité un nom et permettre à des gens qui cherchent le nom de l'album de tomber directement dessus lors d'une recherche internet.

Je veux bien que tu me parles des guests, Sly par exemple, donc les lettres signifient quand même Still Loving You, il est au courant ?

(rires) Je n'y avais jamais pensé, je ne sais pas s'il le sait (rires), il s'appellent Sylvain

Zut je pensais qu'il était fan de Scorpions

Pas du tout (rires)

Bon tant pis, le fait d'inclure un passage en français illustre bien la violence de vos propos.

Je suis incapable de produire quelque chose en français, ça ne colle pas à l'image du groupe, j'avais envie de rendre un hommage à la langue de Molière.

Il y a un fort côté Mass Hysteria dans ce passage

Mass est un des groupes qui m'a amené au Metal, Sly est un fervent défenseur de la scène extrême, une personne impliquée avec la Criminal Asso sur Paris, quelqu'un avec qui on a déjà joué et c'est un honneur qu'il ait accepté. Il y a un côté hip hop assez surprenant auquel on ne s'attendait pas forcément, l'idée est aussi de pouvoir surprendre sans pour autant trop choquer.

Dans ce livret, on trouve des remerciements. Victor, par exemple, cite ses guitar heroes, quels sont tes "singer-heroes" ?

A chaud, le chanteur de AMENRA qui livre quelque chose de très viscéral, une interprétation très personnelle que je ne fais pas sur scène, c'est très intimiste, il chante dos au public pendant une bonne moitié du set, il vit sa musique, c'est très important pour moi.
Ça n'a clairement rien à voir avec le Metal, mais j'écoute beaucoup de Freddie MERCURY, c'est une énergie démentielle, taillée pour le live, un perfectionnisme exacerbé.
Je ne pense pas à des groupes Hard Core, c'est bizarre, ça peut paraître étrange, ce sont deux noms qui me viennent spontanément. C'est un grand écart, appelez-moi Jean Claude Van Damme (rires). J'aime bien les choses assez contrastées, les personnes vivant pleinement leur art.


M@x Born

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