L O R D I
Interview de Tomi Petteri Putaansuu alias M. Lordi,
réalisée le 19 octobre par Romain Tortevoix via Whatsapp
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J'ai eu l'immense plaisir de pouvoir poser mes questions à M. Lordi quand à son nouveau projet, le monstrueux "Lordiversity". Et le moins qu'on puisse dire, c'est que le qualificatif n'est pas usurpé...


Bonjour Mr. Lordi, comment ça va, et où es-tu actuellement ?

Ça va plutôt bien malgré une petite migraine, et la fatigue, là je glande à la maison dans ma salle de travail !

On est là pour parler principalement de la sortie de "Lordiversity", un énorme projet unique en son genre, mais avant toute chose, j'aimerai avoir des nouvelles rapidement de tous les autres membres du groupe, est-ce que vous êtes passés à travers la pandémie sans problèmes, ou est-ce que le COVID vous a impactés ? Est-ce que vous êtes tombés malades ?

Non ! Heureusement pour nous, personne dans le groupe n'a souffert de la maladie, même si certains ont été exposés au virus, c'est d'ailleurs mon cas en décembre dernier où j'ai dû être placé en quarantaine pour deux semaines, sans en souffrir heureusement, mais pour être tout à fait honnête, le corona a été très bon avec moi ! C'est grâce à ces circonstances particulières qu'on a été capables de créer quelque chose d'aussi ambitieux que ça, sinon on n’aurait jamais eu le temps.
Par ailleurs, je suis un sacré casanier, j'adore rester à la maison ! Partir en tournée, pour moi, c'est la partie la plus pénible, en réalité. Rien de tel que rester à la maison à me gratter les couilles dans mon canapé devant un bon film !
Je sais que la plupart des musiciens vivent pour la scène, le live, les performances, mais pour moi c'est la partie la plus laborieuse.

Vous vous apprêtez à sortir "Lordiversity", faisant suite à "Killection", qui était un best-of d'albums fictionnels qui n'existaient que dans l'histoire de LORDI, comme si vous étiez un vieux groupe qui jouait depuis les années 70. Puis vous êtes montés un cran plus loin dans la folie en faisant vraiment tous ces albums à la fois ! Qui a eu cette idée dingue ? C'était votre plan depuis le début ou vous avez fait un ou deux albums, puis un autre, et vous vous êtes dit "allez encore un" jusqu'à sept ?

C'était très simple en fait ! Lorsque "Killection"est sorti en janvier 2020, on est partis en tournée et, au bout d'un mois à peine, ça a été stoppé net par tu-sais-quoi. Là je me dis "ok, on va pas faire juste un nouvel album, cette histoire de corona risque de durer assez longtemps, pas quelques semaines comme disent certains, on ne peut jamais sous-estimer la stupidité des gens. C'est pas un problème de virus, mais bien des gens qui ne se comportent pas comme ils le devraient.
Je savais qu'on avait pas mal de temps devant nous, probablement une bonne année, et putain j'avais raison. La question c'était donc "on fait quoi maintenant" ?
La réponse la plus naze aurait été : "bah un nouvel album standard" après "Killection". Même un simple "Killection : part 2" n'aurait pas été foufou. Les gens associent souvent "part 2" avec "encore un peu plus de la même chose". Même si ce n'est pas forcément vrai !
Donc le truc cool après la compilation fictive, c'était de faire du répertoire fictif un vrai de vrai. Le plan initial visait les dix albums déjà évoqués, mais le label a dit "Non, on veut bien aller jusqu'à sept mais calmez-vous". Donc j'ai mis un peu d'eau dans mon vin et ce fut fait. Mais on aurait pu aller jusqu'à dix sans problème. J'ai tout écrit en trois mois, j'avais terminé en décembre 2020, puis on a tout enregistré, mixé et masterisé en cinq mois, donc on avait carrément le temps d'en faire trois de plus.

Commençons dans l'ordre avec ce "Skelectric Dinosaur". On est au début des années soixante-dix, avec une emphase sur le rythm and blues traditionnel et le rock "primitif". Quelles sont vos influences principales pour cette période, qui s'entendent plutôt bien sur "Maximum o'lovin" ou "Carnivore" d'ailleurs...

Ce que j'avais en tête, c'était les trois premiers albums de KISS ("Kiss", "Hotter than Hell" et "Dressed to Kill"). Et Alice Cooper. Un petit peu d'AC/DC et un chouilla de BLACK SABBATH. Je situerais tout ça en 75. Du pur rock'n'roll, hard rock seventies.

D'après ce que j'ai compris vous avez réellement essayé de travailler avec les conditions de l'époque ?

Tout à fait ! On n’a pas seulement essayé, l'album est fait intégralement de façon analogique, en 16 pistes, pas une trace de digital là-dedans, absolument rien n'est corrigé par ordinateur, tout est joué live, c'est mixé en analogue, jusqu'au master, qui là évidemment nécessite de passer en digital. Mais c'est aussi valable pour les instruments que nous avons loués et qui datent de la période, pareil pour les micros. Ok peut-être que les cables étaient neufs ! Même la basse était une relique des années soixante, on avait aussi un vieux piano, et un bon vieil orgue Hammond. Rien de vraiment récent.

Passons à Superflytrap. Lordi part sur le Disco. J'entend ABBA, dans "Believe Me", n'essaye pas de nier !

Bien sûr qu'il y a ABBA, évidemment ! On peut pas se prétendre disco sans mettre du ABBA d'une manière ou d'une autre, après tout ce sont eux qui ont eu le plus grand succès dans leur genre. Mais après eux, l'influence principale c'est EARTH WIND AND FIRE, sans oublier les autres, BONEY M, Donna Summer, the VILLAGE PEOPLE...

Il y a beaucoup plus de voix de femmes dans cet album, est-ce que c'est Miss Hella qui donne de la voix comme ça ou on crédite d'autres personnes ?

Non du tout ! Malheureusement ce n'est pas elle. Tu es le premier à oser me demander ça, je me demande combien de personnes pensent que c'est elle qui chante d'ailleurs... On a recruté une chanteuse du music-hall de Broadway. Pour les choeurs de soutien, on ne pouvait pas avoir un vrai son d'album disco sans une chanteuse dédiée qui a vraiment la puissance et la chaleur nécessaire dans la voix. Sans ça on aurait eu une impression de manque, de bâclé. Mais Hella est quand même là dans les choeurs en plus, on peut donc l'entendre, même si la chanteuse a une voix tellement puissante qu'elle recouvre tout !

Maintenant nous avons "The Masterbeast of the Moon", qui est un peu plus conceptuel, façon prog, opera rock, ce qui vous sort peut-être un peu de votre zone de confort, félicitations d'ailleurs pour cette prise de risque, où j'entends KANSAS, the WHO, même un peu de RUSH. Est-ce que ça vous a posé des problèmes de composition, je pense notamment à "Church of Succubus", un monstre de douze minutes ?

C'est marrant, t'es pas le premier à demander ça, alors qu'en réalité c'était peut-être le plus facile à écrire! L'inspiration à la base c'était "The Elder" de KISS, mais ça n'allait pas assez loin, alors j'ai commencé à écouter un peu de RUSH, de PINK FLOYD, ce genre de choses, et de fait "Church of Succubus" est le titre le plus long, et de loin, de tout le répertoire de LORDI. Et pourtant, à l'écrire, à le jouer, ça ne nous a jamais paru particulièrement long ou difficile, au contraire. J'ai une façon de composer assez naturelle, ce qui passe par la tête passe dans le crayon, je n'ai pas particulièrement de restrictions non plus. En général, j'ai beaucoup plus d'idées qui arrivent que de temps pour les noter toutes. J'ai beau essayer de tout noter, après une minute ou deux j'ai perdu énormément de trucs auxquels je pensais. C'est très intuitif, je pense à un truc, je prend la guitare. Enfin, dans ce cas, pour Masterbeast of the Moon, c'est surtout au piano. Dans le meilleur des cas, la chanson s'écrit d'elle-même. C'est ce qu'il s'est passé pour Church of Succubus. Je voulais avoir un vrai grand album conceptuel comme ça, qui soit fait sérieusement, donc ça demandait un titre dans les dix minutes.

Ensuite, en ce qui concerne "Abusement Park", que j'entends plus glam, shock rock, je me suis dit à la première écoute que c'était l'album le plus "Lordiesque" au sens traditionnel. Comme la récréation après Masterbeast of the Moon ! Du coup est-ce que c'est parce que vous avez commencé par celui-là, ou avez-vous enregistré dans l'ordre chronologique ?

Tout à fait ! J'ai démarré avec l'album de 75, puis l'album disco, et ainsi de suite. A la fois point de vue écriture mais aussi enregistrement et production. On a suivi la ligne temporelle.

Vos influences pour Abusement Park ?

On est dans la période 84, qui est pour moi l'année de la quintessence de la musique. J'avais dix ans à l'époque, et même avec le recul, quand tu vois le nombre d'albums majeurs sorti par tant de groupes majeurs, c'est incroyable. Y'a WASP, KISS avec "Animalize", Dio avec "Holy Diver", "Powerslave" de MAIDEN, l'année d'avant y'avait "Balls to the Wall" d'ACCEPT, SCORPIONS... Tous ces groupes avec soit leur albums de début, soit de percée, et bien sûr TWISTED SISTERS avec "Stay Hungry". C'était une putain de bonne année pour être un petit métalleux. Et je ne pense pas qu'il y ait eu depuis une année aussi prolifique que 84, avec autant d'albums géniaux d'autant de groupes géniaux.
Dans cet album, j'essaie vraiment d'écrire des chansons dans les styles de ces groupes. "Abusement Park" est dans le style de TWISTED SISTERS. "Pinball Machine" est dans le style d'ACCEPT. "House of Mirrors", c'est du WASP. Et "Carrousel", c'est SCORPIONS.

Du coup après ça vous avez enchaîné sur "Humanimals", avec ce pur son AOR années 80, gorgé de synthés et de mélodies bien entraînantes façon NIGHT FLIGHT ORCHESTRA, que ce soit sur "The Bullet Bites Back" ou "Like a Bee to the Honey". Un petit mot sur votre inspiration, et votre ressenti sur cette période ?

C'est mon album préféré de tout le projet. C'est celui qui définit le "goût" de la musique. Je suis un enfant des années 80, et ces chansons font ressortir l'innocence de l'enfance de la musique, avec beaucoup de variété, je veux dire tu peux mettre du banjo là-dedans, ça sonnera bien ! On y retrouve pêle-mêle DEF LEPPARD, VAN HALEN, KISS avec "Crazy Nights", et Alice Cooper avec "Trash". Mais l'influence principale ici n'est pas un groupe, mais un parolier, c'est Desmond Child. J'ai essayé de créer des chansons dans le style de ce qu'il aurai pu écrire si on avait bossé avec lui en 89. C'est mon hommage.
Sinon, je trouve que le son de cet album est parfait. J'ai toujours dit que mon album de Lordi favori point de vue son, c'était "Babez for Breakfast" (2010), produit par Michael Wagner, mais maintenant, il a été détrôné. Humanimals est le son de LORDI le plus parfait, de loin.
Au fait, t'a parlé de "Bee to the Honey", ce titre était déjà sur "Killection", et c'est également le seul titre du répertoire de LORDI qui n'a pas été écrit par moi ou un autre membre de LORDI, cette chanson nous a été offerte par Paul Stanley de KISS lui-même ! Ils ont bossé dessus mais ne l'ont jamais sorti, du coup on l'a fait.

Suit "Abracadaver", là on sent que la fête est finie, et qu'il est l'heure... de l'Arockalypse. Vous allez à fond dans le thrash, vous vous enfoncez dans les ténèbres, là où LORDI mélange habituellement le fun et la peur. Vous vouliez faire quelque chose de fondamentalement plus violent sur cet album ?

C'est du thrash ! C'est très agressif, très sérieux, très sombre... Comme c'est censé l'être ! Tu penses à la fin des années 80 et le début des années 90, le seul groupe qui avait gardé un peu d'humour dans leurs compos, c'était ANTHRAX. Tous les autres, METALLICA, MEGADETH, TESTAMENT, SLAYER bien sûr, ils avaient zéro humour, c'était très sérieux, dans ta gueule, agressif. Mais en fait j'ai été plus influencé par les groupes qui sont arrivés un peu plus tard, comme PANTERA ou ENTOMBED. Même s'il y a aussi un peu du "Painkiller" de JUDAS PRIEST. Pour être tout à fait honnête, je n'écoutais pas de thrash à l'époque où ça sortait, bien que j'y étais confronté, car tous mes amis étaient fans de thrash. C'était pas mon cas, j'étais toujours resté heavy, resté sur Alice Cooper et Michael Bolton. C'est le Painkiller de JUDAS PRIEST qui a fait office de porte d'entrée vers quelque chose de plus agressif, et ce n'est que bien plus tard que j'ai vraiment abordé les classiques du thrash.

Et enfin, "Spooky Spectacular Sextravaganzza", ou le disque qui sonne le plus métal moderne, avec une forte empreinte indus, évoquant NINE INCH NAILS, Marylin Manson ou Rob Zombie. Puisque c'est l'album le plus moderne, le plus digital, ça veut dire que c'était le plus facile à produire ?

Très clairement oui, et même à écrire, car après tout LORDI existe déjà à la période que représente cet album. Tout ce que j'avais à faire, c'était écouter des vieilles démos de 93, 94 et 95, et c'est exactement le même genre de trucs que je faisais à l'époque. J'étais déjà là, et c'était super simple.

Une chanson préférée parmi les... soixante-dix que vous avez faites, si on met de côté les blagues et les narrations ?

Je dirais... Une qui me vient en tête, c'est "Blah blah blah" (clôture de "Abusement Park"), parce que si tu réfléchis bien, si tu changes un tout petit peu les paroles en quelque chose d'un peu plus... normal, et que quelqu'un d'autre chante à la place de ma grosse voix pourrie, tu ne devinerais jamais que c'est une chanson de LORDI. Tu ne verrais pas la différence. Et je suis super content d'avoir réussi ce petit exercice.

Est-ce qu'on aura droit à un Lordiversity tour ? J'ai tellement hâte de vous voir dans des concerts de 5 heures !

Non, ça n'arrivera pas ! Evidemment, là tout de suite on a dix albums. Dans un peu plus d'un mois, on en aura tout à coup dix-sept ! KISS par exemple a vingt albums studio. Donc on double quasiment notre catalogue en un an. Tu peux demander à n'importe qui avec autant d'albums, comment faire une set-list, la réponse sera : c'est pas facile ! A partir du moment où t'a sorti quatre ou cinq albums, c'est là que ça devient compliqué de choisir. Et là, j'ai aucune putain d'idée sur comment on va se démerder avec toutes ces chansons. Mais la triste réalité, c'est que j'irai probabement dans la tombe avant que toutes ces chansons ne soient jouées au moins une fois en live. Certaines ne seront probablement jamais exécutés avec du public, c'est un fait. SAUF si on fait un concert spécial de cinq heures !

Et j'irai volontiers voir ça ! Sinon, il y a un peu moins de vingt ans sortait "Would you love a Monsterman". Quel est ton ressenti par rapport à l'évolution de la carrière de LORDI ?

Jusqu'ici... Tout va bien ! Bien sûr il y a eu des imprévus, des accidents, des choses compiquées à gérer, il s'en passe en vingt ans. Mais je suis heureux. Et on peut s'estimer chanceux. Avec un groupe comme le nôtre, pas exactement un groupe de rock standard, on a toujours beaucoup de négativité à notre encontre, comme on en a eu et comme on aura toujours. Je t'ai parlé de KISS et TWISTED SISTERS ou Alice Cooper, tous ces groupes avec une image forte ne seront jamais totalement acceptés par absolument tout le monde. Sachant ça, rétrospectivement, je trouve qu'on s'en sort carrément bien.

C'est bon pour moi, je te laisse le mot de la fin, si tu as un message à faire passer, quelque chose de particulier à dire à tes fans ?

Je dirais simplement coucou à tous nos fans, et je vous donnerais une petite clé de lecture concernant "Lordiversity" : pensez à ces albums comme étant différentes pièces de l'ensemble de la musique de LORDI. Tous ces albums sont constitués de la somme de toutes mes influences. Elles sont toutes nécessaires pour faire le son de LORDI. C'est de ça qu'est fait LORDI. Tous ces genres musicaux sont tous des ingrédients nécessaires à la recette. Un peu de rock, de disco, de thrash, un peu de prog, et voilà le son de LORDI.

En tant que grand fan de LORDI, j'ai été enchanté que tu trouves le temps de répondre à mes questions, merci encore, j'espère seulement avoir la chance de bientôt vous voir en France, je crois que vous êtes programmés bientôt d'ailleurs ?

Oui, on est prévu pour le Plane R Fest ! (Montcul, près de Lyon, 1 et 2 juillet 2022).

Merci encore !

Merci à toi, et à bientôt !


Le site : www.lordi.fi

 

 
 
 
 

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