Chroniques d'albums :


" Passion "

P E N D R A G O N
Divan Du Monde (Paris) 05/05/2011

Pendragon, le groupe du virtuose de la composition mélodique, chantre de la strat(osphérique) pleureuse, l’autre Barrett –Nick- (l’un, c’est le Syd du Floyd) est on the road again pour partager avec son public à la fois fidèle et grandissant, son dernier album, le magnifique et très aboutit Passion (retrouvez la chronique ici). Les quatre rosbeef (et non, de l’autre côté du Channel, ils n’ont pas de mousquetaires) se produisent le 05 mai 2011 à Paris, au Divan du Monde à Pigalle. Evidemment, votre serviteur était là ! Je me le devais autant qu’à vous car, amateur du groupe depuis que je l’ai découvert au hasard d’un farfouillage à la Médiathèque des Halles en 1995 (j’étais « tombé » sur The Window Of Life et ne me suis pas relevé depuis), je n’avais encore jamais eu l’occasion de les apprécier sur scène. Leur réputation de sobriété dans le décorum (c’est pas Hammerfall !) et de qualité d’interprétation de leur musique les précède. Moi qui n’ai pas l’habitude de commencer par la conclusion (cf les chros), je fais ici une entorse à la règle car je n’y tiens pas tant c’est fort… Quand la sincérité le dispute à la générosité scénique, un concert est toujours réussit. Si on ajoute à cela (non, pas le bruit et l’odeur) le haut niveau artistique de la prestation et la qualité sonore, on tient un des grands gigs de l’année ! Pour ma part l’un des meilleurs concerts rock auquel il m’ait été donné d’assister. Merci Ultrarock !

C’est Andy Sears qui assure la première partie, au clavier ou à la guitare, accompagné seulement par son copain mac. (non pas Prospère mais Steve Jobs). Ce (bon) vocaliste m’était inconnu. Il s’avère, après recherche, qu’il est le chanteur de Twelfth Night, groupe néo-prog contemporain de Pendragon (non, je ne connais pas tous les groupes de prog, c’est le job de Frebbb, ça). Je découvre un pro très souriant qui, dans l'ambiance feutrée du Divan du Monde, montre comment captiver l’attention d’un auditoire qui ne connaît pas forcement ses compositions. Résultat : les applaudissements ne tardent pas à retentir après chaque morceau, principalement des ballades jouées piano. Certains titres laissent entrevoir une autre facette du personnage, probablement plus dédiée à ses prestations groupales : une pointe de frénésie, un côté « décalé » un poil barré, très théâtral aussi, qui me fait penser à Fish dans l’interprétation. Vocalement, ça sonne très 70’s. Le genre d'artiste charismatique, totalement investi dans sa musique et qui semble parfois ailleurs, dans son monde. Qui se fendra, en introduction à son titre First New Day (très bien, cette chanson), d’une spéciale dédicace à Nicolas S. ( ?) via une petite diatribe à l’encontre des politiciens qui taillent dans les crédits de santé et d’éducation, afin de maintenir le Peuple sous emprise. Un bon moment, forcément un peu long pour qui n’est coutumier ni du répertoire du bonhomme ni des accompagnements enregistrés mais bon, c’est la crise aussi pour les zicos et embaucher du monde, ça coûte des sous…

Le Divan du Monde est une petite salle à l’ancienne, propice à la proximité avec les (cocottes ?) artistes. Encore faut-il que ceux-ci ne se prennent pas pour des vedettes inaccessibles. Le moins qu’on puisse écrire, c’est que la bande à Barrett ne se la raconte pas. Ici, pas question de caprices de stars ni de péter plus haut que son cul. Chez Pendragon, on est artisan autant qu’artiste. Pas de fioritures, ni de costumes de scène : on est là pour jouer de la musique et seule celle-ci fera voyager le spectateur. On n’en rajoute pas dans l’esbroufe, voire on préfère demeurer sur la réserve : Peter Gee n’est pas des plus démonstratifs, quant à Clive Nolan, s’il sait sourire, il reste le plus souvent planqué derrière son (copieux) bide. Cependant le show est assuré (presque) à lui seul par le Zébulon de la troupe : Scott Higham. Le nouveau batteur, non content d’être un monstrueux baffeur (pauvres toms !) est aussi un entertainer dans l’âme. Au point de se demander s’il ne confond pas un peu set de batterie et tribune de supporters… En tous cas, ce bougre de hooligan met l’ambiance et fait participer le public. Entre deux roulements d’octobans ou volées de cymbales, il soutient vocalement Barrett (assurant les chœurs avec Nolan) sans se départir jamais d’une attitude extrêmement démonstrative. Pour donner dans la comparaison, ce serait un peu le genre Tommy Lee (ou Kolinka pour les franchouillards) mais en version plus « animateur » que m’as-tu-vu. Sinon, la public relation est, comme à son habitude, assurée avec bonhomie par Nick Barrett, jamais avare d’une petite plaisanterie, réellement proche de son public, pour lequel on ressent qu’il prend plaisir à jouer, en toute humilité. Un musicien comme on aime les apprécier et les respecter, plutôt que les admirer !

Dès le début du show, on constate que Pendragon a musicalement durci le ton. Une évolution, constante, vers plus de noirceur peut-être que de mélancolie dans les ambiances et plus de lourdeur dans le son. Mais jamais au détriment de la mélodie, qui règne toujours en maîtresse sur le jeu habité de Barrett. La frappe de batterie est emblématique de cette évolution : énergique, sèche et précise, ça roule et descend à tout va, un vrai festival ! Les parties complexes enregistrées sur disque sont impeccablement rendues par un musicien de haut niveau (en plus, il chante !) En le voyant commencer le concert, je me suis demandé dans quel état il allait le terminer. Et bien… en nage mais toujours le sourire aux lèvres ! Manifestement, il prend un grand plaisir à jouer, ce qui semble également être le cas de ses comparses, qui échangent regards complices et petites plaisanteries (probablement très connes, vu leurs expressions !) D’emblée, si le niveau musical est très pro, on constate que l’ambiance avec le public ne sera ni au recueillement ni à l’adulation mais plutôt à la proximité et au partage : une ambiance plus proche du pub british que du Stade-de-France. Le son est bon et le restera jusqu’au bout : jamais trop fort (c’est assez rare pour être souligné), bien défini et octroyant de l’espace à chaque instrument. Tout juste pourrait-on reprocher à la voix d’être mixée un poil trop en arrière mais ne pinaillons pas… Les musiciens ne sont pas extrêmement démonstratifs (hormis le batteur, on l’a déjà évoqué) mais Nick Barrett, qui ressemble de plus en plus au Roi Théoden du Rohan (dans la version ciné du Seigneur de Tolkien) dialogue véritablement avec son public quand il joue et durant les interludes. On sent chez ce type un réel désir de communication et d’échange, pas uniquement celui d’être écouté et regardé. Une réflexion me vient à l’esprit à propos de sa posture durant le solo (superbe) d’Empathy : si beaucoup de guitar heros donnent l’impression de jouer avec leur zgueg, Nick, lui, joue avec son ventre (qui s’est d’ailleurs bien arrondi avec l’âge). Ce sont ses tripes qu’il gratte !

Bon, c’est vrai que je suis un fan de longue date de la musique de Barrett mais, vraiment, avec toute l’objectivité dont je suis capable (qui se situe quasiment au même niveau que ma mauvaise foi, c’est dire…), quand des quinquagénaires jouent à ce niveau, ils renvoient tous les néo-métalleux post-pubères jouer aux billes avec leurs crottes de nez et dégouttent par la même occasion les pauvres quadras qui y croyaient encore… Salauds ! Voyez un peu la set-list de folie… Ouverte avec Passion (forcément) et qui fait la part belle à des morceaux de bravoures progressifs (Comatose, Empathy, This Green And Pleasant Land, The Last Man on Earth) d’une diversité rythmique et mélodique proprement stupéfiante (oui, d’ailleurs c’est un peu le thème de Comatose…) L’intensité ne faiblit jamais mais l’ensemble reste toujours agréable car cette tension est rendue largement supportable par la grâce de la gratte magistrale au Bon Père Barrett, qui souffle alternativement le feu et l’eau dans l’éther infini… Mais je m’égare, là. Ce doit être un effet de ces musiques planantes (Pink Floyd et Camel en premier chef) qui, il faut bien le reconnaître, influencent toujours Pendragon, même si le groupe a fait évoluer sa musique vers un style plus heavy prog’ que rock progressif.

Effectivement, après les deux sorties de Pure (2008) et Passion (2011), il n’est pas question de les cantonner à leur étiquette de « référence du néo-prog ». Oui, en intégrant (et en les digérant réellement) les influences de Porcupine Tree ou Riverside plus récemment (pour citer les plus évidentes), Pendragon ne saurait plus être réduit à une strat pleurant de jolies mélodies un peu mièvres sur fond de claviers à tendance symphonique, ni désigné comme le « petit frère de Marillion », d’ailleurs. Qu’on se le dise : Nick Barrett est un compositeur hors pairs doublé d’un bonhomme à la sensibilité exacerbée et sa propre maturité (manifestement acquise dans la douleur) a déteint sur son groupe. Avec ses dernières compositions, Pendragon livre à nos oreilles ravies un enchaînement de plages d’une richesse harmonique, d’une énergie et d’une saveur mélodique impressionnantes. Il faut noter l’apport incontestable en matière de dynamisme (de dynamite ?) du nouveau batteur Scott Higham. Ce taré de la baguette semble ne jamais trouver le repos (à part de la bière, il prend quoi ?) Jovial et comme monté sur ressorts (ou plutôt des vérins hydrauliques, vu la lourdeur de sa frappe), il fait à lui seul subir un de ces lifting aux anciens titres de Pendragon… Preuve en est l’interprétation « sévèrement burnée » du sautillant Back in The Spotlight de 91.

Les paroles, quant à elles, reflètent à la fois l’intensité émotionnelle de la lecture du monde par Barrett et une profondeur de questionnement disons « adolescente ». Tant il me semble que ce type est resté, non pas bloqué à cette époque de sa vie mais profondément marqué par ses états d’âme (OK, j’arrête le cours de psycho !) Toujours est-il que les paroles ne sont pas « pop » et qu’au-delà de l’expression de sa propre sensibilité, Barrett tente d’en faire des réceptacles projectifs « universels » (ouais, j’avais dit que j’arrêtais…) Pour en finir avec ce chapitre, en fin connaisseur et grand amateur de Bowie (ça arrive à des gens biens), Barrett écrit d’une façon théâtrale. Certes ses lyrics sont moins énigmatiques (moins surréalistes) que ceux de Ziggy mais il semble véritablement chercher l’incarnation d’un personnage (au sens scénaristique) pour chaque chanson.

Difficile de pointer les moments forts de ce concert car il n’y a eu que cela. Comme tout groupe expérimenté qui se respecte, Pendragon entame son set avec un titre tonitruant issu du nouvel album (Passion) et d’emblée, ils sont là ! Enchaînant avec un vieux morceau dépoussiéré au Toniglandyl par Higham (Back In The Spotlight), ils se débrouillent pour réaliser la synthèse entre fans de la première heure et jeunots métalleux (le profil du public est familial, le genre papa partage du bon rock avec son fiston). Et d’emporter définitivement l’adhésion générale avec Ghosts (93), lorsque, en écho aux chœurs magiques ciselés par Nolan, Nick tire de sa gratte un solo magnifique, plaintif puis résilient (oups, j’avais dit plus de psycho.)

Après un premier échange sympa avec le public, durant lequel Nick se félicite d’être anglais car, je cite, « un anglais en France n’a pas besoin de parler français pour se faire comprendre, il n’a qu’à grogner des onomatopées que le public s’empresse de traduire ! » (il venait de baragouiner un « qwah ? » après un « what ? » à destination d’un fan l’interpellant), la bande à Barett envoie du très lourd avec Comatose (extrait de Pure). C’est ensuite un auditoire entièrement acquis à sa cause qui prend en charge le refrain du superbe If I Were The Wind (And You Were The Rain), dont l’intro à elle seule est un grand moment. Les moins progueux s’endormaient-ils ? Qu’à cela ne tienne, on s’est tous pris un Freak Show bien senti en pleine face, à grands coups de Les Paul. Et vlan ! Et d’atteindre la moitié du set (je n’avais pas vu le temps passer) en entamant le morceau de bravoure du nouvel album, Empathy, sa tirade rapée sur le solo et son outro symphonique : quel talent ! Puis Nick annonce This Green And Pleasant Land (l’Angleterre, of course) en explicitant sa thématique citoyenne (la grande illusion politicienne : « dormez, tout est sous contrôle »). Barett est aussi un musicien « concerné » par son époque, à défaut d’être un artiste « engagé ». Le seul bémol viendra de Shane (91) mais pour être parfaitement honnête, l’interprétation n’y est pour rien, je pense simplement que ce titre est plus faiblard que les autres. En guise de conclusion, Pendragon ne dérogera pas à la règle « titre direct au refrain-qui-tue suivi d’une plage progressive finement écrite-au-solo-mortel » : Nostradamus + Indigo. Puis ils se barrent ! Mais non, c’était pour de rire… En rappel, on a droit à Paintbox, dont le refrain est à nouveau assuré par le chœur (des vierges) du public et durant lequel le batteur prend le temps de s’octroyer une « pause-kro. » amplement méritée. Puis hop, ils se re-barrent ! Mais non, c’était encore une blagounette (ah ! l’humour anglais…) ils reviennent et c’est avec du lourd qu’ils clôturent le set car nous avons droit à l’intégralité de The Last Man On Earth.

Au final, Pendragon aura donné à manger à tout le monde, faisant la part belle à sa forme stylistique la plus récente (les albums Pure et Passion) et proposant des interprétations magistralement actualisées de titres plus anciens, qui mettent en valeur la qualité des compos d’un album comme The Window Of Life. Ils m’auraient offert en rappel Breaking The Spell et Am I Really Losing You que j’aurais versé ma petite larme… M’enfin, j’ai déjà eu If I Where The Wind… Allez, je suis reparti en RER la tête pleine de belles mélodies et le cul botté par un batteur de folie : merci Mr. Barrett !

La set list :
Passion (Passion, 2011)
Back in the Spotlight (The World, 1991)
Ghosts (The Window Of Life, 1993)
Comatose (Pure, 2008)
If I Were The Wind (Not Of This World, 2001)
The Freak Show (Pure, 2008)
Empathy (Passion, 2011)
This Green And Pleasant Land (Passion, 2011)
Shane (The World, 1991)
Nostradamus (Stargazing) (The Window Of Life, 1993)
Indigo (Pure, 2008)
Rappels :
Paintbox (The Masquerade Overture, 1996)
The Last Man on Earth (The Window Of Life, 1993)

Bouteil Bout

   
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