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THE BLACK CROWES La Cigale, Paris 27/06/2013

Les Black Crowes, c'est l'histoire du vilain petit canard se prenant pour le messager de l'au-delà, finissant par se muer en beau volatile au sombre ramage se contentant de traîner au bord de l'eau. Vous ne suivez déjà plus, je vois bien… En deux mots, pour moi, les Black Crowes furent d'abord la meilleure (seule ?) surprise des 90s mais incapable de tenir ses promesses, alors qu'aujourd'hui c'est un groupe plus confidentiel et moins retentissant mais révélant une fibre authentique inespérée après leurs mésaventures, et de plus en plus sublime.

Sublime, oui, et si je me permets quelques termes aussi extravagants, c'est que je suis ressorti de la Cigale en cette fin de juin avec les yeux brillants, le groupe venant de me révéler sur scène une formation d'un niveau musical à des années lumière au-delà de celui de sa génération, là où je ne m'attendais qu'à voir gigoter devant moi 6 hippies camés… une portée de vilains petits canards, quoi. Je m'en vais donc vous narrer cette extraordinaire surprise scénique.

Déjà, je découvrais le groupe sur scène, tout de même 23 ans après ses débuts, d'où ma surprise aussi, peut-être… En revanche, j'étais resté fidèle à leurs sorties discographiques malgré tous leurs accidents de carrière et désillusions. Et si je ne pouvais que donner tort aux détracteurs voyant dans le bâtard « Lions » (j'entends stylistiquement) leur chant du cygne, je ne pouvais aussi que rester dubitatif devant leurs errances depuis « Before The Frost... ». Encore une fois, je mettais le pied dans la (très belle par ailleurs) salle en terrain inconnu.

Comme d'habitude, je tue le temps en scannant l'horizon : il y a pas mal de choses à voir, tout un public disparate, à moitié présent seulement lors de l'ouverture, pourtant la salle affiche complet. Il y a du bon vieux rockeur, il y a du jeune plutôt fashion… il y a même du métalleux allemand affichant fièrement une collection de whristbands de fests longue comme, euh… le bras, oui (forcément). Le groupe, lui, n'est pas absent du tout : leurs techs préparent sur le côté guitares et même mandolines, ce dernier point ayant le don de m'impatienter au plus haut point, parfument la scène d'encens, scène par ailleurs très intrigante avec sa configuration compartimentée en trois carrés… que le groupe ne va pas tarder à investir afin de nous expliquer tout ça. Un petit quart d'heure de retard, prolongeant un soundcheck déjà extrêmement fort, sur fond de Rock outre-atlantique, pour faire bonne figure. Pas de première partie, les Black Crowes ne jouent pas les absents on a dit.

Dans le carré du milieu, donc, voici ce grand déglingué de Chris Robinson. Voix haut perchée, toujours hippie, incessamment animé de danses à la gloire de la marijuana. Derrière lui, derrière sa batterie qu'on jurerait trop petite, Steve Gorman, seul rescapé des 90s avec le frérot Rich, qui s'encastre lui dans la case de droite. Plus jeune mais plus classe que son grand frère, chaînes rutilantes sous sa chemise, il affecte des airs de Van Zandt avec le masque de sérieux dont il refuse de se départir, même dans les moments les plus Rock'n'Roll du show. Celui que l'on ne verra guère, derrière lui, est Adam MacDougall, pianiste les ayant rejoints pour « Warpaint ». Et, dans le box de gauche, se trouve le bassiste Sven Pipien, crinière et colliers au vent, présent depuis « By Your Side », et au jeu extrêmement rond. A ses côtés, Jackie Greene, le nouveau six-cordiste que je découvre donc ce soir, qui trimbale son chapeau de paille depuis la Géorgie dirait-on, ce qui me le rend d'emblée plus sympathique que son voisin. Son vrai jeu respirant l'Amérique par tous les pores finira de me convaincre, je vais vous décrire ça par le menu.

Tout cela semble bringuebalant, donc, mais la solidité me prend au dépourvu. On aura plus de deux heures de show dont pas une minute ne me lassera (et pourtant je n'avais guère dormi ce 27 juin). Le son est fort d'emblée donc, la salle enfin pleine, just in time, et les lights splendides pour un groupe aussi peu visuel. On attaque par deux titres du premier album, « Jealous again » et « Thick ‘n' thin », le premier partagé par Chris et Rich au micro. L'harmonie est parfaite, là encore la solidité surprend derrière cette façade relâchée. Le final atteint ce qu'ils semblent avoir toujours recherché, la magie rythmique de « Exile On Main Street ». Le deuxième titre se voit tout aussi fraîchement ponctué de breaks et petites impros… On commence en grande forme, et avec du classique, dis-donc.

Le classique du classique des Black Crowes, entend-on souvent, c'est leur second, bien plus que ce premier album coup-de-poing. Les partisans de cette opinion se voient conforter par l'enchaînement d'ouverture de la face B de cet album : « Hotel illness » / « Black moon creeping ». Les magnifiques chœurs de Barbara & Joy, vrai point fort de cet album, sont rendus de façon pas trop dégeu par les membres eux-mêmes, et la rythmique est réellement digne de vrais fils du Sud. Quand je vous dis qu'on n'est plus en présence des vilains petits canards des 90s… Et le corbeau révèle un nouveau colt à sa bandoulière : le solo clair de Rich suivi de celui, bien plus arraché, de Jackie, est juste magique. Atteignait-on cette complémentarité avec Marc Ford ? Ma réponse est non, libre à vous de me contredire. Mais le reste de la soirée me convaincra encore plus.

Des surprises, les Black Crowes en ont parsemé leur carrière. Ils en ont même déballé lorsqu'ils étaient avec Jimmy Page, et ce soir ils me sortent par surprise une cover de « Medicated goo » de Traffic. L'occasion pour Sven de retirer mes moqueries à son égard. Puis le groupe semble vouloir parcourir un vrai balayage de son histoire, avec un nouvel enchaînement, tiré de l'album suivant : « Ballad in urgency » / « Wiser time ». Et là, pour moi, on a atteint le cœur du show. « Wister time » est déjà mon titre préféré d' « Amorica », et le premier à m'avoir révélé en 94 la fibre authentiquement musicale du sextette, ils l'ont déjà travaillé avec « Ballad in urgency » sur « Croweology », leur dernière sortie (une révision acoustique de leur répertoire)… mais alors ce qu'ils me déballent ce soir est de très haute volée. Les mots ne servent à rien lorsqu'on parle de musique, a fortiori de musicalité (nuance supérieure), pourtant je vais le faire car je ne peux rester muet devant ça, et je ne vous en retranscrirai pourtant rien, il fallait y être. Les balcons se lèvent sur ce titre, comme par hasard. Le choix des armes est à Steve et Adam, Rich vient miauler par-dessus, et l'on obtient une pâte de la même texture que « Moon, turn the tides »… Ne reste qu'à Jackie à entrer en scène pour faire tout virevolter en une montée de LSD. Le solo est de plus en plus expressif, de plus en plus long mais l'on ne veut guère qu'il cesse… Rich le rejoint, le rythme devient de plomb, le tout prend des airs de « Freebird »… Le public n'attend guère la fin du titre pour ovationner la paire de solistes. Au tour d'Adam, et c'est tout un final instrumental lui aussi couvert des acclamations d'un public qu'on n'attendait pas aussi réceptif. Meilleure preuve de la qualité du truc : vous me diriez qu'il a duré 5 ou 15 minutes que je vous croirais indifféremment. Aucune idée.

On en est en tout cas bien à la moitié du show, et les six choisissent bien leur moment pour mettre un peu d'acoustique dans la soupe. A la joie générale, c'est « She talks to angels » qui en a d'abord les honneurs, Rich à l'acoustique, Jackie à la mandoline. Adam scintille en arrière plan, Chris nous fait trembler. Le travail est remarquable, et Keith l'a dit : « le vrai rockeur te fait d'abord vibrer à la gratte sèche ». Le doublé est constitué de « Downtown money waster », morceau acoustique plus vivant qu'un électrique. Rich et Jackie emplissent tout l'espace, Chris s'éclate comme un fou, Adam semble sous nos yeux alors qu'on ne le voit toujours pas et Rich, avec sa guitare acoustique et ses cheveux au vent me fait moins rigoler comme Sven au début que penser à Van Morrison. Les lights, toujours splendides, tentent de figer cette ambiance biblique, et comme j'avais annoncé, chaque instant est gouté sans répit. Quel sens dynamique…

L'électricité est rebranchée pour « Soul singing ». On a zappé « Three snakes & one charm », et l'on n'abordera pas l'époque post-« Lions ». Seul point faible. La Telecaster de Rich écrase la SG de Jackie qui prend pourtant toujours les motifs les plus efficaces. Tout grince sous le larsen mais on est aux anges. Encore une fois l'absence de choristes est assez bien comblée par les gars, et le public ne laisse pas de doute sur son mépris vis-à-vis de la presse ayant fait de l'album la pierre tombale du groupe.

Approchant de la fin, il va falloir sortir les classiques, ou plutôt, vu la setlist, les classiques des classiques. Autre enchaînement sublime de « Southern Harmony & Musical Companion » (deux en un soir, quand même…) : « Remedy » / « Thorn in my pride ». Les cris de joie soulevés par le premier prouvent, comme pour « She talks to angels », que le public n'a pas la mémoire courte. Public de plus en plus sonore, d'ailleurs, tant ce morceau sera couvert de leur ombre. Un pont tout en coupures revu et corrigé, un changement de partie bien plus souple que sur disque pour le 2 e morceau, et un nouveau cadeau sur le final… j'entend, une nouvelle de ces parties instrumentales généreuses offertes : un break de Rich avec Chris à l'harmonica, un travail plus True que nature de Jackie et Sven (tous deux aux doigts), faisant monter la tension jusqu'à cette reprise magique… pour les connaisseurs, vous voyez un peu comment démarre le premier Foghat ? Voilà Adam et, comme tout-à-l 'heure je reperds la notion du temps, égaré au sein du titre… Sven accélère pour un final rythmiquement écrasant, et illuminé de cette magie Southern Rock alliant la plus indéfectible dureté à la plus savoureuse fluidité… Georgia on my mind. Inutile de dire que le public réclame ses rappels au même volume sonore que jouait le groupe.

Il y en aura en fait deux, de rappels, 100% covers. Le premier fera suivre « Oh sweet nuthin' » du Velvet Underground, et « Hard to handle » enchaîné à « Hush ». Grosse surprise pour le premier titre, qui plus est chanté par Rich, avec Chris à la guitare, se débrouillant étonnamment bien. C'est moins solide, ça fatigue, Rich hésite, mais l'ambiance ne retombe pas d'un pouce. Pour « Hard to handle » évidement c'est autre chose, j'en danserais presque (oh, presque, j'ai dit). A la fin de ces 3 titres le public ne s'est pas calmé d'une once, et le second rappel constitué de « Jumping jack flash » va évidement l'électriser comme seul un titre des Stones pouvait. Les guitares rugissent, la basse pèse de tout son poids, et le tout est réellement épileptique, comme s'ils voulaient définitivement nous mettre KO après tant de résistance de notre part. Ça ne bougeait pourtant guère en fosse mais étrangement j'allais moi-même être capable de bien peu bouger dans le métro en sortant…

Ce que je retiens surtout de cette soirée qui, vous l'avez compris, m'a conquis, c'est la métamorphose des Black Crowes en ce groupe authentique qu'ils semblaient affecter d'être devenus sur album mais qu'ils viennent de me prouver, sans l'ombre d'un doute, qu'ils sont, jusqu'au bout des ongles, ce groupe vibrant de toute la tradition musicale de leur terre, animé de ce souffle qu'on voyait si peu derrière les gros accords de quinte de « Remedy » ou le rythme à taper binairement du pied de « Twice as hard », mais qui se révèle désormais à chaque arpège de Rich qui semble avoir en Jackie son Gary Rossington ou son Duane Allman. Il faudrait que je pense à brûler mes Rock'n'Folk de 2000 si je les ai encore, tiens.

THE OUSTAST

 


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