A V A T A R
Interview réalisée par Anne-Sophie Schlosser, le 10 juillet

 
 

Avatar s’est déployé tel une machine de guerre sur le monde, à l’occasion d’une tournée sur deux ans pour promouvoir son précédent album, Avatar Country. Cette croisade conquérante visait à présenter aux citoyens dudit pays leur souverain, et il vous a peut-être été donné d’apercevoir le roi Kungen au sein du reste de son orchestre en concert quelque part près de chez vous. Beaucoup de questions se sont alors posées, des suites de cette odyssée (laquelle fut même transposée à l’écran, pour une séance de rattrapage veuillez vite vous renseigner sur Avatar Country : a Metal Odyssey). Les interrogations qui se sont bousculées au sujet de l’avenir immédiat d’Avatar sont désormais levées, car il tombe à pic, voici que John Alfredsson (à la batterie) nous répond.

Ultrarock : Salut ! On espère que tu vas bien en ces temps étranges, et merci de nous accorder cette interview. Une question d’emblée pour permettre aux lecteurs de plonger la tête la première dans Hunter Gatherer : c’est quoi, les différences patentes entre cet opus et le précédent, selon toi ?

John Alfredsson : Oh ! Si on devait comparer cet album avec le précédent, déjà il faut savoir qu’Avatar Country n’était même pas supposé devenir un album. C’était à la base une sorte d’EP qu’on devait absolument sortir de nos têtes, dont nos esprits voulaient se débarrasser, juste parce qu’on trouvait ça vraiment marrant. Il s’agissait à la source d’une lettre d’amour et d’une ode au heavy metal, mais tout d’un coup, on s’est mis à écrire tellement de titres qui nous plaisaient qu’on s’est dit « Fuck, on va en faire un album ». Disons qu’Avatar Country était un petit détour s’éloignant de ce qu’Avatar est par essence. Nous ne sommes pas un groupe comique, c’est juste qu’on devait le faire, c’était devenu un besoin de produire ce disque. De là, on peut dire d’emblée que Hunter Gatherer est beaucoup plus sombre et sérieux, c’est un concentré polarisé entre le plus fou et le plus profond de nos albums désormais. En somme, ils sont très très différents.

Ultrarock : Justement, ce virage à cent quatre-vingt degrés dans la direction artistique, était-ce une décision forte prise avant même de s’atteler à l’écriture des titres, ou bien est-ce venu naturellement lors de celle-ci ?

John Alfredsson : Je dirais que c’était un parti pris au préalable, nous avons décidé ainsi, mais ça s’est fait sans forcer. C’était super drôle de faire Avatar Country, comme je le disais, on devait expulser ça ou bien ça allait nous taper sur le système. Au début de la tournée qui en découlait, on s’éclatait, on trouvait tout ça hilarant, tout ce délire autour du roi et du monde de fiction dans lequel on évoluait. C’était drôle pendant une semaine, mais après ça, il restait bien cent cinquante concerts à faire quoi. En tournée, on veille assez tard dans le tour bus, on écoute de la musique et on discute d’un avenir plus ou moins proche. C’est là qu’on s’est mis d’accord sur le fait que l’album suivant ne serait pas une suite d’Avatar Country. On s’est mis en tête de s’en éloigner le plus possible, en fait.

Ultrarock : Ouais, d’accord, d’après ce que tu dis, passer par cette étape semble avoir rendu votre création définitivement plus sombre. C’est comme si le contraste avec votre nature avait été renforcé par cette parenthèse comique, sans quoi les choses auraient peut-être été différentes pour ce nouvel album. Dirais-tu que cette contradiction a été féconde, finalement ?

John Alfredsson : Je n’y avais jamais songé sous cet angle, mais en effet, c’est carrément probable. Tout ce qu’on fait est un résultat teinté par le mirage lointain de ce qui fut, donc effectivement, si nous n’étions pas passé par la case Avatar Country, imaginons… Si dans un univers parallèle, Hunter Gatherer était venu au monde juste après Feathers & Flesh, il aurait été encore plus craqué et délirant, à cause de cette intention qu’on aurait quand même voulu livrer. C’est pas parce que le monde est si vrai et profond que tu dois toujours absolument toujours tout prendre au sérieux.

Ultrarock : Totalement, ça fait du bien de s’évader, on s’en rend terriblement compte en ce moment. Sinon, comment ton jeu de batterie a évolué entre temps et durant le processus de création de votre nouvel album ?

John Alfredsson : Ah ! Ce que tu fais en musique reflète toujours un soupçon de ce qui est encore possible de faire mieux, selon moi, ça appelle à la suite, directement dans le produit que tu rends. Je recherche une évolution perpétuelle. Je pense que la plus grosse différence avec tout ce que nous avons fait avant Hunter Gatherer réside dans le temps fou que nous avons passé à répéter cette fois. Ce n’était pas vraiment le cas avec Avatar Country, qui a fait l’objet d’une entrée en studio très rapide. Une piste de batterie correcte, beaucoup d’editing, du bidouillage de studio. Alors que là, on a souhaité procéder par enregistrement live, afin de bien saisir l’intention, le sentiment convoqué par tout le groupe. Du coup, on a dû répéter un max. Ces répétitions ont duré pratiquement huit semaines à raison de sept jours par semaine, huit heures par jour. Il fallait que ça soit le plus nickel possible. Même chose que pour enregistrer Hail The Apocalypse, c’étaient aussi des prises live. Ces ambiances dans ces deux exemples d’album, avec le nouveau, vont de pair avec le besoin de faire ressentir quelque chose de résolument humain. La plus petite erreur, le plus petit décalage ou imprécision rendent le tout plus organique.

Ultrarock : Et puis ce n’est pas pour dire, mais de nos jours, avec les outils technologiques, quiconque peut parvenir à la perfection en maitrisant les bons clics…

John Alfredsson : Exactement ! C’est ça ! Pro Tools et compagnie, les programmes sont complexes mais le fait d’appuyer sur un bouton a un rôle majeur, parfois trop. Selon moi, les meilleurs albums, qui proviennent des années soixante, soixante-dix, quatre-vingt… présentaient un usage enrichissant du côté humain. Tu peux ressentir la musicalité, en plus de la musique, qui unit les musiciens. C’est la voie qu’on a voulu emprunter également cette fois-ci. C’est du live, le son coule, il n’y a pas d’abus de clic, avec le côté vrai qui ressort davantage.

Ultrarock : D’ailleurs, en parlant de la personne qui appuie sur les boutons, une fois n’est pas coutume, vous avez travaillé à nouveau avec Jay Ruston (Anthrax, Steel Panther, Amon Amarth, Stone Sour, ndlr.) en studio. Peux-tu m’en dire plus au sujet de la relation qui s’est construite entre le groupe et lui ?

John Alfredsson : Aussi loin que je m’en souvienne, au départ, la première chose que nous lui avions confiée fut le mixage de Hail The Apocalypse, enregistré auprès d’une tierce personne. A en juger par sa discographie, on s’est dit que ça allait le faire. Mais tu sais quoi, on est toujours un petit peu méfiants… Surtout face aux américains (rires). Mais soudain, on a réalisé qu’il n’est pas américain mais canadien, ça change tout, ça roule pour nous. Bref, la production nous semble évidemment très importante, et on est passés par plusieurs écoles, plusieurs façons de faire. Pour Feathers & Flesh, on avait fait appel à Sylvia Massy. Elle est extraordinaire, elle a des idées barrées et je l’adore. Mais l’envie de changement a frappé à la porte, on s’est dit que, cette expérience réalisée, on pouvait voguer vers d’autres horizons. Jay n’avait fait que mixer notre musique auparavant, c’est là qu’on est entrés en contact avec lui en chair et en os. Et ça a matché direct. Il partage bon nombre de valeurs avec nous, sur ce qu’est la musique, ce qu’est le monde. Il est vegan, nous aussi, ce genre de choses. On a tenté l’aventure avec lui sur Avatar Country, et on s’est tellement plu à bosser avec lui qu’on a prolongé la partie. Pour tout te dire, avec le cadre tellement défini et resserré qui préexistait autour du concept d’Avatar Country, en fait, on s’est dit qu’il y avait bien plus à explorer dans le travail de Jay et on voulait lui accorder une place plus conséquente. C’était parti pour produire un vrai, bon gros album complet avec lui. Et on verra ce que ça donne par la suite !

Ultrarock : Trop hâte ! Mais d’abord, restons un peu dans le présent. Le présent immédiat, même. Quelques semaines avant la sortie de Hunter Gatherer, il y avait un chouette concert prévu, chez nous en France à Paris. Ça, c’était avant la crise sanitaire. Iron Maiden, Airbourne, et vous. Forts de savoir que la date est reportée, est-ce que vous allez reconsidérer la structure de ce concert, repenser la setlist, et même la scénographie à cause du report ou est-ce que vous pensez rester sur ce qui était prévu ?

John Alfredsson : Il faut que je te dise un secret, que j’ai révélé aux journalistes en France à qui je parle dans le cadre de cette session promotion. On aurait même dû faire un concert secret, un peu plus intimiste, quelque part à Paris la veille de ce concert prévu. Mais pour être honnête, justement, on n’a rien eu le temps de vraiment prévoir. Ça aurait dû en effet être le premier concert en lien avec Hunter Gatherer, et je peux te dire que c’était imaginé pour anticiper la tournée qui aurait dû suivre. On assiste à plein de réunions avec nos stage designers, pour échanger à ce sujet et également à propos de la tournée headline qui, je l’espère, aura bien lieu un jour. Ça prend un temps fou de concevoir et bâtir nos décors, ils font un boulot monstre. Donc on verra bien si on reprend les plans là où ils ont été laissés, ou bien si on repart de zéro. En attendant, comme tout le monde, on est dans l’expectative.

Ultrarock : Vous patientez en effet comme tout le monde, mais vous vous êtes montrés plutôt actifs, pendant le confinement notamment. On a pu avoir de vos nouvelles lors de livestreams, vidéos en direct comprenant l’interaction instantanée avec vos fans sur les réseaux sociaux. Des habitudes bien étranges, qui existaient auparavant, mais qui pourraient bien devenir une nouvelle norme. Alors, ça fait quoi ?

John Alfredsson : Je dirais que ça a irrévocablement changé notre façon de travailler en tant que groupe, bien évidemment. J’ai un œil sur le contexte global, il se passe des trucs horribles, des gens perdent des proches, leur travail, etc., et nous avons la chance de ne pas avoir à nous plaindre. J’y trouve des aspects positifs, et je me concentre dessus. Tout est arrivé si brutalement, si vite, et il a fallu reconsidérer les choses prises pour acquises, trouver des solutions pour répondre à des besoins pratiques. On essaie d’être présents en ligne, mais tu l’as vu, on ne propose pas de musique, pas de concert en streaming, ça, on l’a vu faire, et cela ne nous plaît pas, on trouve que ça craint. Mais la situation nous appelle tous à repenser notre façon de consommer la musique, peut-être sur le long terme, on ne sait pas. Bon, en dehors de ça, chaque semaine on se fait une petite réunion Zoom avec tout le groupe pour discuter, checker si tout le monde va bien, en attendant de pouvoir tous se voir. Justement, à l’instar de ces session promo à distance, tu vois. On aurait adoré voyager de pays en pays pour répondre à des questions. Au final, il faut dire que c’est très chronophage, on pourrait continuer à faire ça à distance pour toujours. Une fois de plus, travailler à distance offre des côtés pratique. Regarde, moi j’ai la chance de m’occuper de mon jardin, cultiver mes pommes de terre, mes petites tomates, chose que je n’ai jamais le temps de faire quand je suis en tournée ! (rires)

Ultrarock : Tu fais ça sur un balcon, ou plutôt genre, un jardin ?

John Alfredsson : Non, pire que ça, j’ai une maison de vacances en plein milieu de la forêt. (rires)

Ultrarock : Ouais, et puis côté tournées, on peut dire que vous n’avez pas chômé. On peut carrément dire qu’il s’agit déjà d’une belle carrière. Un moment, en particulier qui te revient, là, comme ça, un souvenir que tu chéris ?

John Alfredsson : Mmh, il y en a trop. Ça fait maintenant dix-neuf ans qu’on fait ça, comme tu dis. J’en sais rien, je peux te citer le Download à Paris, mais est-ce que ça passe devant le concert que nous avions fait pour la première fois dans la ville d’où nous venons ? Non, pas vraiment. Les deux se valent et on se souvient d’un maximum de choses avec gratitude. Je ne suis vraiment pas focalisé sur le terme « carrière », en me demandant si je suis assez connu ou pas, non, ce n’est une considération valable pour moi. C’est extrêmement plaisant de voir que tant de gens, et de plus en plus, apprécient ce qu’on fait, mais je ne me drogue pas à ça non plus, je pense que c’est malsain.

Ultrarock : Tiens, d’ailleurs, pour prendre soin de la santé mentale de tout un chacun, se faire plaisir avec un peu de culture et s’inspirer : tu écoutes quoi en ce moment ?

John Alfredsson : Mmh ! Ça ne sera pas très utile pour vous en France, qui sait, mais en ce moment j’écoute pas mal de podcasts suédois. Pour ce qui est de la musique, j’avoue que j’écoute des choses pas très très metal en ce moment. Je suis pas mal branché Leonard Cohen, et aussi Frank Zappa, et puis sinon j’ai aussi un kiff avec la musique traditionnelle islandaise. Bon allez, je vais parler metal quand même, je trouve que le dernier Vader est énorme ! Et j’écoute aussi des vieux trucs que j’écoutais plus jeune. Il paraît que, passé un certain âge, style trente ans, tu ne peux plus autant ressentir d’inclinaison vers de nouvelles choses en musique, j’ai lu qu’il existe des recherches en cours à ce sujet.

Ultrarock : Ouais, et puis avec cette pression dans le domaine de la culture en général, mais surtout chez nous en musique, qui dicte qu’il faut tout connaître, savoir ce qui est à la mode, ce qui vient de sortir…

John Alfredsson : Il y a peu, un proche m’a recommandé d’aller écouter Billie Eilish. J’avais déjà vu qui elle était, j’avais remarqué son style, mais je n’avais pas encore pris la peine d’écouter ce qu’elle fait. J’ai conscience que c’est une des artistes les plus populaires dans le monde en ce moment, alors bon. Et Jesus fucking Christ c’est génial ! Elle gère trop ! Et depuis, j’en écoute aussi pas mal. Elle semble honnête, intègre et franche dans sa démarche, elle fabrique beaucoup elle-même. Ça serait tellement facile de mettre des fringues, faire des photos, et qu’on te vende, mais non, elle nous montre qu’il réside dans la musique un peu plus d’espoir que ça.

Ultrarock : Merci pour ces recommandations, ces belles paroles, et ces quelques éclaircissements sur Hunter Gatherer que tout le monde va se presser d’aller découvrir. Merci pour ton temps, et on l’espère, à très bientôt en tournée !

Le site : avatarmetal.com

Anne-Sophie Schlosser


 

 
 
 
 

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